Malgré sa petite taille,
Simon Igel impose le respect avec ses épaules larges, sa fine moustache,
une voix ferme et rendue grave par quelques années de cigarettes
brunes. Le ton est assuré. L’homme ne s’apitoie jamais sur son sort.
Arrêté le jour de son anniversaire Simon Igel est né en 1927 à Zolkiev, à l’époque une petite ville de Pologne, devenue depuis ukrainienne. L’année suivante, sa famille émigre à Vienne, en Autriche. Puis en 1937, en France à Auxerre, juste avant l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. . La famille Igor espère ainsi, échapper au régime nazi. C’était sans compter sur
la collaboration du régime français de Vichy avec l’occupant
allemand.
Agé de 14 ans, lui est envoyé dans un orphelinat, d’où il s’échappe presque aussitôt. "Quelques semaines après, le Maréchal Pétain a décidé de livrer également aux Allemands les enfants juifs de moins de 16 ans." Il trouve refuge auprès d'amis, qui le font passer à Saint-Etienne, en zone libre. Mais le 18 août 1943, sur dénonciation française, il est arrêté par la Gestapo. "C’est une date qu’on n’oublie pas. Surtout quand c’est son anniversaire." Il est transféré à Drancy, l’anti-chambre des camps de concentration nazis, gardée par les forces de l’ordre françaises. Le 7 octobre, son nom figure sur une liste de personnes livrées aux Allemands. Direction la Pologne. Destination
Auschwitz. "Le principal camp d’extermination, l’industrie nazie de la
mise à mort. En franchissant le porche, on pouvait lire un dicton
qui disait : tu entres par la porte, tu sortiras par la cheminée."
"Le plus terrible dans un camp de
la mort, c’est qu ‘on décide de votre mort sur un simple coup d’œil."
On lui tatoue un numéro de matricule. Il fallait le connaître en allemand. C’était d’une importance capitale. Car si vous ne répondiez pas à votre matricule, vous risquiez la mort ", explique-t-il en déboutonnant sa chemise pour montrer son tatouage aux élèves, avant de l’énumérer en allemand. "il y a deux choses qui m’ont permis
de survivre : parler couramment allemand puisque j’étais autrichien,
et avoir été protégé par un médecin
viennois qui m’a trouvé une planque. Mais je ne souhaite cette planque
à personne : j’étais chargé de ramasser les cadavres
et de les charger dans un camion pour les fours crématoires. "
Simon Igel choisit la France comme
terre d’asile, dont il prendra la nationalité.
Il se marie à 23 ans. "Je voulais absolument recréer cette famille que je n’avais plus." Puis il deviendra commercial, avant de terminer sa carrière comme directeur d’une moyenne surface dans l’Orne, où il a pris sa retraite, à côté de Flers. Mais il faudra près de trente
ans avant qu’il accepte d’évoquer sa déportation. "Mon fils
ne l’a su qu’en 1998." Malgré cela, depuis vingt-cinq ans, Simon
Igel ne manque pas une occasion de venir témoigner devant des jeunes.
"J ‘espère les rendre plus tolérants." Chaque année,
répondant à l’invitation du conseil du Rhône, il accompagne
des classes à Auschwitz. "Ma mémoire va bientôt s’éteindre",
lance-t-il.
‘Avant de ramasser ses affaires, Simon Igel rappelle "Il y a eu 76 000 déportés raciaux en France, seuls 2 500 sont revenus. Sur 12 000 enfants déportés, seuls quelques dizaines sont revenus Et certains hommes politiques peuvent bien douter de ces chiffres. Lui, Simon Igel, n’a pas oublié l’image de cet adolescent de 16 ans, assis sur un tas de cadavres décharnés, en train de manger son maigre bout de pain quotidien. "C’était moi" Frédérick Macé
- La Manche Libre - 3 avril 2005
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