Simon Igel 

Malgré sa petite taille, Simon Igel impose le respect avec ses épaules larges, sa fine moustache, une voix ferme et rendue grave par quelques années de cigarettes brunes. Le ton est assuré. L’homme ne s’apitoie jamais sur son sort. 
Le récit est pourtant terrifiant.

Arrêté le jour de son anniversaire

Simon Igel est né en 1927 à Zolkiev, à l’époque une petite ville de Pologne, devenue depuis ukrainienne. L’année suivante, sa famille émigre à Vienne, en Autriche. Puis en 1937, en France à Auxerre, juste avant l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. . La famille Igor espère ainsi, échapper au régime nazi.

C’était sans compter sur la collaboration du régime français de Vichy avec l’occupant allemand.
"J’ai été arrêté le 12 juillet 1942, avec mes parents et mes deux frères, par la police française." Leur seul "tort": ils sont juifs. Ses parents et ses frères sont emmenés en prison. Il ne les reverra jamais.

Agé de 14 ans, lui est envoyé dans un orphelinat, d’où il s’échappe presque aussitôt. "Quelques semaines après, le Maréchal Pétain a décidé de livrer également aux Allemands les enfants juifs de moins de 16 ans." Il trouve refuge auprès d'amis, qui le font passer à Saint-Etienne, en zone libre. Mais le 18 août 1943, sur dénonciation française, il est arrêté par la Gestapo. "C’est une date qu’on n’oublie pas. Surtout quand c’est son anniversaire."

Il est transféré à Drancy, l’anti-chambre des camps de concentration nazis, gardée par les forces de l’ordre françaises. Le 7 octobre, son nom figure sur une liste de personnes livrées aux Allemands.

Direction la Pologne. Destination Auschwitz. "Le principal camp d’extermination, l’industrie nazie de la mise à mort. En franchissant le porche, on pouvait lire un dicton qui disait : tu entres par la porte, tu sortiras par la cheminée."
Sur 1000 personnes arrivées ce jour-là, 640 ont été aussitôt gazées.

"Le plus terrible dans un camp de la mort, c’est qu ‘on décide de votre mort sur un simple coup d’œil."
Simon Igel est affecté à Auschwitz 3, où 10 000 personnes servent de main d’œuvre pour l’industrie allemande ;

On lui tatoue un numéro de matricule. Il fallait le connaître en allemand. C’était d’une importance capitale. Car si vous ne répondiez pas à votre matricule, vous risquiez la mort ", explique-t-il en déboutonnant sa chemise pour montrer son tatouage aux élèves, avant de l’énumérer en allemand.

"il y a deux choses qui m’ont permis de survivre : parler couramment allemand puisque j’étais autrichien, et avoir été protégé par un médecin viennois qui m’a trouvé une planque. Mais je ne souhaite cette planque à personne : j’étais chargé de ramasser les cadavres et de les charger dans un camion pour les fours crématoires. " 
Le camp d’extermination d’Auschwitz est libéré le 27 janvier 1945 par les troupes russes. Mais quelques jours avant, Simon Igel -est entraîné dans " la marche de la mort" jusqu’au camp de Dora. "Tous ceux qui n’avaient plus la force d’avancer étaient aussitôt abattus. Sur 1000, seuls 400 sont arrivés vivants." Il est enfin libéré le 15 avril 1945 par les troupes anglaises. "Ils n’avaient rien à nous donner à manger. Ils venaient de tomber sur un stock de graisse de porc. Ils croyaient bien faire en nous donnant à chacun une boite. La dernière chose à donner à des personnes sous-alimentées qui pèsent35 kg. Beaucoup se sont jetés dessus et en sont morts.

Simon Igel choisit la France comme terre d’asile, dont il prendra la nationalité. 
Mais l’accueil ast loin d’être chaleureux. On nous regardait comme si on sortait du bagne:" 
A Paris, on lui donne l’équivalent de 50 euros et on lui dit de rentrer chez lui. Seulement nous, les déportés raciaux, nous n’avions plus rien. Du coup, j’ai été un moment SDF. J’étais apprenti fourreur, car je voulais faire le même métier que mon père, mais je ne gagnais pas suffisamment ma vie. Les choses s’arrangeront petit à petit ".

Il se marie à 23 ans. "Je voulais absolument recréer cette famille que je n’avais plus." Puis il deviendra commercial, avant de terminer sa carrière comme directeur d’une moyenne surface dans l’Orne, où il a pris sa retraite, à côté de Flers.

Mais il faudra près de trente ans avant qu’il accepte d’évoquer sa déportation. "Mon fils ne l’a su qu’en 1998." Malgré cela, depuis vingt-cinq ans, Simon Igel ne manque pas une occasion de venir témoigner devant des jeunes. "J ‘espère les rendre plus tolérants." Chaque année, répondant à l’invitation du conseil du Rhône, il accompagne des classes à Auschwitz. "Ma mémoire va bientôt s’éteindre", lance-t-il.
"Mais je sais que ma mémoire et celle de mes camarades seront transmises à travers vous."

‘Avant de ramasser ses affaires, Simon Igel rappelle "Il y a eu 76 000 déportés raciaux en France, seuls 2 500 sont revenus. Sur 12 000 enfants déportés, seuls quelques dizaines sont revenus Et certains hommes politiques peuvent bien douter de ces chiffres. Lui, Simon Igel, n’a pas oublié l’image de cet adolescent de 16 ans, assis sur un tas de cadavres décharnés, en train de manger son maigre bout de pain quotidien. "C’était moi"

Frédérick Macé - La Manche Libre - 3 avril 2005