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Les 385 jours de déportation de Jenny Peyet : 
Pardonner ? … Jamais !

La Voix Le Bocage, 12/05/1995
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ACV, 1939-56 Vire se souvient, 1993, p 103
Jenny Peyet n’a pas assisté aux cérémonies commémoratives du 8 mai (1995) à Vire. 

Elle a préféré rester tranquillement dans son appartement de la rue Turpin.
Là, où elle nous a reçu dans sa salle à manger. 

Elle trouve la présence de vétérans allemands "blessante" pour la mémoire de toutes les victimes du nazisme.
Il serait facile d’entendre son avis comme un refus à la réconciliation. 

Mais nous avons préféré écouter Jenny Peyet raconter sa vie, avant de la juger.

Pour comprendre le tragique destin d’une femme résistante.
Qui a eu la chance et la volonté de s’en sortir, mais marquée à tout jamais.

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"C’était un 6 mai 1944"
En début d’après-midi, la Gestapo fait irruption dans la maison de Jenny Peyet. A l’extérieur, une mitraillette vise la façade.

"Je venais de conduire mes filles à l’école, lorsque les Boches m’ont arrêté. On avait été données". Jenny Peyet n’a pas oublié le nom du donneur : "un Lorrain que nous avions aidé à déserter l’armée allemande. Lorsqu’il a été repris, il nous a balancé. On l’aurait eu entre nos mains, après tout ce que nous avions souffert, on l’aurait fait mourir à petit feu avec une épingle "

Jenny Peyet ne pardonnera jamais. Le temps qui passe n’a jamais affaibli sa détermination.
Un sacré caractère en vérité, qui l’a conduit le 18 juin 1940 à devenir une mère de famille résistante.
Une indépendante: " Je n’ai jamais voulu appartenir à un réseau, j’avais peur des moutons.
Mais l’appel du général de Gaulle m’a révélé l’amour de la liberté et le sens du devoir
"

Fille de sous-officier ; sœur d’officier (sorti 7ème de sa promotion du Cadre Noir de Saumur) ; elle même mariée à un officier qui gagnera la zone libre tors de la débâcle de 40 Jenny Peyet a été élevée dans la tradition militaire. Née en Seine-Maritime, elle habite à Vire depuis 1949, mais à l’époque était installée à la Ferté-Macé, avec ses deux enfants.
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Les femmes en première ligne 
Les hommes sont à la guerre, advienne ce qui pourra. L’invasion des troupes allemandes provoque l’exil des populations. Jenny Peyet est de celles-là, avec ses deux filles et sa grand-mère. Direction Niort après la traversée d’Angers, sous les bombardements. Pour finalement revenir au Pays.

"Rien ne me prédestinait à prendre part activement à la seconde guerre mondiale". 
Lorsqu’elle rentre chez elle, ou plutôt dans sa famille, c’est pour découvrir à peine poussée la porte, le lieutenant Colonel Maury, évadé d’un camp militaire et recherché par les Allemands. Il a été, envoyé ici par le curé de Craon. Après avoir été hébergé quelques jours, il parviendra à rejoindre la zone libre sur le vélo donné par la famille Peyet, sous une fausse identité, grâce à un laisser-passer obtenu par Jenny à la mairie.

"Après j’ai tout fait. Tout ce qu’on peut imaginer". Jenny Peyet n’est pas pour rien homologuée résistance intérieure française en date du 21 juin 1940. Et le fait d’avoir deux enfants — nés en 1935 et en 1938 — ne freinera en rien son patriotisme : on aidait les petits jeunes du coin requis pour le STO à passer on zone libre et dans les maquis". Ainsi que des prisonniers de guerre échappés: "apportés par Germain Courtois, de Pontorson qui profitait du laisser-passer obtenu avec sa graineterie. Il fallait également trouver des vêtements civils pour tous ces gens là. Pour les diriger vers l’Espagne, via Luchon".

Malgré les risques ? : "on était dans l’engrenage. Mais la Résistance c’est parfois des petits trucs de rien, comme obliger les Allemands à descendre du trottoir sur lequel on marche".

Ramasser les aviateurs alliés
Jenny Peyet va faire beaucoup plus. En juillet 43, un avion tombe sur "la Coulonche" – en forêt - avec son équipage.

"Un des pilotes est resté caché dans les choux du père Duval toute l’après-midi. Il a ensuite fallu le planquer pendant 6 mois. Son uniforme a été brûlé dans mon fourneau. C’est René Pépin qui l’a conduit à moto, du château de l’Hermitage à la gare, d’où il a pu ensuite rejoindre l’Angleterre. Et il a survécu à la guerre. Ça c’était des gars ".

Des sacrés gars et des sacrées bonne-femmes, pour rester dans le ton, lorsqu’il fallait passer des colis contenant armes et munitions utilisés dans les coups de mains. " On prenait, notre air de sainte ni-touche. Et ça marchait. Je n’ai jamais rougi et jamais tremblé. Une femme seule n’attire pas l’attention. Il fallait juste être solitaire, que ça ne transpire pas ". Jusqu’à cet après-midi du 6 mai 44. Jenny est arrêtée avec Georgette, une jeune fille, qu’elle a pris à son service pour éviter d'aller nettoyer les obus dans la forêt de Bagnoles.

4 jours dans un wagon à bestiaux
Elles sont emmenées au château des Ducs, à Alençon, investi par la police allemande, où se trouvent d’autres amies résistantes. Au total 24 femmes : " Georgette et moi n’avons pas été torturées. Mais on a vu Françoise Paysan âgée seulement de 13 ans, sa mère, ainsi que Mme Berthout qui réside à côté de Saint Pierre-du-Regard, revenir dans leur cellule, noires de coups. Elles avaient également connu le supplice de la baignoire. Mais elles n’ont jamais parlé ". Il y a aussi Fernand et Berthe Roulier qui réalisaient les photos pour les faux papiers ... Jenny est condamnée à 5 ans de travaux forcés. Le 22 juillet, avec Georgette, elles sont transférées à 2 heures du matin au fort de Romainville. Ensuite, c’est le camp de transit de Neue-Bremm, à côté de Forbach , jusqu’au 11 août. Jenny en a gardé un souvenir effroyable : "des hommes aux pieds attachés avec des chaînes, devaient sautiller autour d’un bassin. Celui qui tombait était noyé. Un gardien, avec une longue perche, était là pour cela". Et puis, ce terrible voyage de 4 jours, enfermé dans un wagon à bestiaux — avec un seul ravitaillement en eau et en nourriture — jusqu’au camp des femmes de Ravensbrück.

" On a franchi le portail d’entrée pour se retrouver face aux douches On nous a demandé de déposer nos vêtements et nos bijoux. Ils ont été jusqu’à scier les alliances de mariage "

Travail forcé et brimades
C’est alors la mise en quarantaine "au bloc 32. Je n’ai pas oublié". Jenny recevra des hardes "pleines de puces" avant d’avoir sa tenue de détenue politique: "une culotte, une chemise et une jupe à rayure, sous le matricule 51 432". Le 25 août, après être restée 11 heures, dans la cour d’appel, c’est un nouveau départ, à 80 par wagon à bestiaux, vers la banlieue de Berlin. Un site industriel. Le voyage durera 2 jours. Jenny travaille à la fabrication des câbles électriques utilisés dans la conception des V1 et V2: à raison de 11 heures par nuit ou 12 heures par jour. Avec toujours comme seul vêtement, cette frêle chemise: " l’hiver, on volait du papier qu’on glissait dans la doublure pour se protéger du froid ".

Avec comme repas: un breuvage appelé café, une espèce de soupe et un petit morceau de pain par jour".
Comment tenir dans ces conditions?
Réponse de Jenny Peyet : " On était très élégantes "
C’est un euphémisme.
Jenny remercie sa nature généreuse et ses kilos en trop lorsqu’elle était, jeune femme, "une réserve qui m’a sauvé la vie".

"On devait être noyés dans la Baltique" .

Le site industriel - chez Siemens - sera bombardé par les Américains.
Jenny, toujours accompagnée de Georgette, sera dirigée vers l’autre camp terrible de Sachsenhausen, le fief d’Himmler.

100 000 des 200 000 détenus y seront exécutés en 5 ans. 

Jenny Peyet a gardé comme souvenir des camps
" cette odeur de chair brûlée, lorsque le vent poussait la fumée des fours crématoires vers les baraques ".

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Avec l’arrivée des forces soviétiques, évacuation générale. Ordre est donné d’amener les prisonnier sur le littoral Baltique, de les embarquer sur des navires et les couler "vifs en pleine mer". Par colonnes de 500, plus de 30 000 détenus, adultes et adolescents, furent chassés sur les routes du Brandebourg et du Mecklembourg. Jenny était de ceux-là: "Il y avait 12 jours de marche jusqu’à la Baltique. - Les Russes sont derrière et les Allemands sont pressés ‘la personne qui tombait était condamnée. La 2ème journée, dans notre groupe. 75 personnes trop fatiguées pour avancer ont été tuées. Uns balle dans la nuque, en fin de peloton

Cette marche infernale prendra fin dans la forêt du Bois de Below. Les Allemands "tirent dans le tas", avant de s’enfuir, laissant abasourdis tous les survivants. Jenny en fait partie et avec elle Georgette, qui décédera des suites de ses mauvais traitements 10 jours après son retour en France.

"J’étais complètement déboussolée"
Il faudra alors réapprendre à vivre :  " j’étais complètement déboussolée mais j’ai eu des parents formidables. Néanmoins, je n’ai jamais pu leur raconter ce que j’avais vécu ".

Jenny a perdu 30 kg. Elle pèse encore 52 kg pour son mètre 72. Elle aura aussi des pépins de santé : un début de tuberculose auquel elle doit son asthme chronique, des opérations ensuite, conséquences de la cuisine des camps". Mais il a fallu surtout retrouver ses enfants : dont j’étais sans nouvelles depuis mon départ". Redevenir leur mère après cette absence imposée et sans perspective. Pour tenir, " il faut faire abstraction. Surtout ne pas penser et tirer nos 5 ans. Même si aujourd’hui j’ai compris que nous ne serions jamais ressorties vivantes. Mais je dois m’estimer heureuse : Je n’ai pas autant souffert que ceux qui ont perdu les leurs dans les bombardements. J’ai retrouvé tout mon petit monde ".

Même si 4 ans c’est long, trop long dans la vie d’un couple séparé par la guerre : "je n’étais pas la seule. On parle toujours du retour des prisonniers, mais souvent, ce n’était pas les retrouvailles annoncées. Silence. C’est la vie. On revenait aussi avec des caractères pas faciles. Ça change un homme, et une femme".

Jenny Peyet a refait sa vie avec M. Normant, un ancien prisonnier de guerre : " on avait vécu la même chose".

Contre la mort : la solidarité
Jenny a toutefois gardé le souvenir de moments de joie et de solidarité:

"il ne faut pas croire qu’on pleurait tous les jours. On se remontait le moral, on rigolait parfois. C’était ça la beauté du camp, l’égalité et la solidarité. Lorsqu’on sacrifiait une cuillère de soupe pour la donner aux plus jeunes. En ce qui me concerne, ma foi en Dieu m’a également beaucoup aidé

La foi en Dieu mais l’impossibilité du pardon : "vous ne pourrez jamais imaginer ce qu’on a vécu. Et pour Jenny Peyet, tout le monde savait, à commencer par les Allemands:

" j’avais la haine et je l’ai encore. Dans les villages que nous traversions pour aller à l’usine, squelettiques dans nos rayures, les enfants nous lançaient des pierres incités par leurs parents. Les habitants nous chargeaient à cheval. D’autres travaillaient dans les camps avant de rejoindre le soir leur petite famille. Non, on ne peut pas pardonner et accepter que les Allemands soient là pour la commémoration. Laissons passer notre génération qui a tant souffert "

Jenny dit avoir tiré de cette dure expérience une philosophie de vie qui consiste à mettre de côté tout ce qui n’en vaut pas la. peine: "les tracas quotidiens paraissent tellement anodins.. On trouve la vie belle, même les petits pépins ".

Sa crainte : voir que cela peut recommencer. Le racisme me revient.
" Attention les jeunes. On est libre et on l’a payé assez cher. Alors vivons cette liberté ".

Le dernier cri d’une vieille dame digne. Elle n’a pas écrit ses mémoires, ni même tenu un carnet de bord. Rien. Elle veut emporter avec elle tous ses souvenirs vieux de 50 ans- d’autres le racontent tellement mieux que moi ". Jenny Peyet ne regarde aucune image des camps de concentration, elle s’en sent incapable. Mais elle lit en revanche beaucoup d’ouvrages sur ce sujet : " s’il y a des lecteurs intéressés, dites leur de lire "Les femmes espagnoles, de la Résistance à la Déportation, de Barcelone à Ravensbrück, préfacé par Geneviève de Gaulle, la nièce; du. Général, une camarade de détention. C’est aussi mon histoire ".

Christophe Pinel, La Voix Le Bocage, 12/05/1995

Le camp de Ravensbruck  : http://www.ravensbrueck.de/
Histoire de la déportation : http://clioweb.free.fr/camps/deportes.htm



autres photos :

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04/2005
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