Les déportés de répression 
(ou déportés non raciaux) en France

Conférence de Jean Quellien - CRDP de Caen - 20/11/2002


Très intéressante conférence de Jean Quellien, à l’initiative de François Legros, prof d’HG au collège d’Evrecy
(cf l’ouvrage signalé à 2 reprises dans la Chronique internet :
"De Caen à Auschwitz"" http://www.ville-evrecy.fr/College/html/de_caen_a_auschwitz.htm  ).

Jean Quellien ne traite que d'un aspect de la déportation, celui que les archives du monde combattant (délocalisées lorsque L Mexandeau était secrétaire d'Etat) permet d'étudier.Ce travail s'appuie sur la coopération entre le l'U de Caen (le CRHQ et l'UFR d'histoire), la Fondation pour la mémoire de la déportation.

Il a rappelé qu'au début des années 1970, une querelle a opposé le Comité d’histoire de la 2 GM et la FNDIRP sur les chiffres :
En 1945, le ministère Frenay avait estimé à 100 000, les déportés "raciaux" (dont 95.000 décédés) et 100.000 les déportés "non raciaux". En 1947, le chiffre des déportés raciaux est porté à 120 000. Vers 1970, le Comité d'histoire de la 2° GM , à partir du travail de ses correspondants départementaux, dénombrait 52 000 déportés non juifs, et sous-évaluait plus encore le nombre de déportés juifs.
Mais plusieurs départements manquaient, dont la Seine et la Seine et Oise... Chiffres dont la publication n’a jamais eu lieu, car risquant de blesser et d’être " inopportune ".

Depuis, le CDJC a fait le travail pour les déportés juifs (80.000) , et Serge Klarsfeld a utilisé les listes des convois de Drancy pour son Livre mémorial de la déportation juive de France (76.000 dont 3 % de survivants).

Pour les déportés de répression, J Quellien estime leur nombre entre 85 000 et 90 000 alors que l'estimation du Comité était de 52 000 (puis 65.000, par  extrapolation pour les départements absents de l'enquête des correspondants départementaux). La différence tient à ceux qui ont été envoyés en prison en Allemagne (6000), plutôt qu’en camp, au sort de ceux qui étaient déjà en Allemagne (PG, STO) lors de leur internement dans un camp, au sort des prisonniers espagnols
Cas aussi de l’Alsace Moselle…

L’exemple du Calvados est significatif :
Pour le Comité H2GM : 504 déportés (Résistance organisée 264 - Juifs 50…)
L’enquête Quellien-Fournier compte 673 déportés (Résistance organisée 269 - Juifs 102)

Les correspondants du Comité ont fonctionné en réseau : le décompte des déportés appartenant à des organisations de résistance semble mieux correspondre à la réalité que celui des autres déportés. De plus, les dossiers déposés par les survivants, ou leur famille peut accentuer ce déséquilibre. La confrontation avec les archives allemandes est faite chaque fois que c’est possible. Mais les départs de Compiègne n’ont pas donné lieu aux listes de ceux de Drancy.
 

Un apport original : le calendrier de cette déportation de répression :

D’un graphique seulement projeté, il ressort que la déportation est un phénomène massif en 1944, y compris jusqu'en août. Avec 4000 à 8000 déportations par mois, soit de janvier à août plus de 50 000 déportés (à rapporter au 85 - 90 000 total,  (soit environ les deux tiers)).

Commentaire de J Quellien : la Résistance a été menacée dans son existence du fait de cette répression terrible.
Pour les autres années, il m’a semblé voir des pointes à 2000 déportations environ en janvier 1941, juillet 1942,
et une augmentation du nombre dans la deuxième moitié de 1943.

J’espère que tout ceci fera l’objet d’une publication, dans un délai raisonnable.

Dans l’analyse sociologique, je retiens :
- 10 % de femmes, le même pourcentage que dans la Résistance
- Parmi les déportés hommes de Buchenwald,  60 % des déportés ont moins de 30 ans - (alors qu'ils représentent 30% de la population française)
- socialement, sous représentation des paysans, (5% déportés à Buchenwald - 29 % dans pop fse)
sur-représentation des employés, des cadres…ce qui va à l'encontre des idées reçues !
- 23 % d’ouvriers, dont ceux qui ont animé la grève des mineurs en 1941, pour 18,5 % dans le pays

Quels motifs ?

Calvados, 40 % pour Résistance organisée (partis, mouvements, réseaux) - effet intéressant des calculs statistiques : dans l'enquête du Comité, 264 sur 504, cela fait 52 % de résistants organisés ; dans l'enquête Quellien-Fournier, - 269 sur 673, cela fait seulement 40 %.

Jean Quellien a insisté sur une de ses convictions : le rôle de la " petite " résistance, de la " résistance civile " (20 % des dossiers).

Les chiffres tirés des archives semblent inciter à nuancer l’image des déportés Nuit & Brouillard ( N&N), image portée par le film d'Alain Resnais.

Les méthodes utilisées sont celles de l'histoire quantitative, une histoire en partie délaissée depuis le succès de l'histoire des représentations.
Elles permettent de dénombrer à partir de sources existantes, de confronter les résultats aux chiffres parfois recopiés sans vérification.
Mais ces sources dépendent de critères fixés par le législateur : il faut donc les replacer dans leur contexte.

Enfin, Jean Quellien continue de souligner la diversité des comportements et de l'opinion publique en France sous l'occupation, en insistant sur l'importance de la résistance civile. Dans son intervention sur la France de Vichy, il avait montré l'ambivalence de cette opinion dans les départements de l'Ouest, dès 1940.
La chronologie a toute son importance : des actes qui sont tolérés par l'armée d'occupation en 1940 ou 1941 peuvent conduire à la déportation en 1943 et 1944.
Les habitants de St Sever assistent en masse aux obsèques d’aviateurs anglais, sans répression visible.
Mais le 15 janvier 1943, près de Bayeux, 10 de ceux qui ont assisté aux obsèques de William Kennedy Ferguson, dont l'avion venait de s'écraser, sont déportés :
http://aeroforums.free.fr/forumhist/aff.php3?8151

Au total, un souci de dépasser la dualité "résistants et collabos" trop réductrice, et un net désaccord avec la vision de l'accommodation développée par Philippe Burrin.

cf aussi sa conférence de 1998 pour la Régionale de Caen de l'APHG :
La France et l’attitude des Français sous l’Occupation
http://aphgcaen.free.fr/conf/quellien.htm

[Les derniers convois :
message de Cécile Vast, Fondation de la Résistance :

"D'après le Livre-mémorial des déportés politiques partis de France de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, quelques convois sont partis de France après la Libération de Paris, dans des territoires non encore libérés :
1) de Belfort les 1 septembre pour Ravensbrück, 5 septembre pour Buchenwald, le 3 octobre pour Buchenwald,
2) de Tourcoing le 1 septembre pour Sachsenhausen
3) de Dijon le 2 septembre pour Dachau
4) de Metz le 12 novembre 1944 pour Dachau

source : Livre-mémorial des déporté(e)s parti(e)s de France, arrêté(e)s en application des mesures de répression prise par l'occupant ou le régime de Vichy, Fondation pour la Mémoire de la déportation, 2000, tome 9"

Page d'Evelyne Py,
http://www.memoire-net.org/~meminfo/article.php3?id_article=97  ]

D Letouzey, 24/12/2002
relecture par G Badufle