RAPHAËL ESRAIL
Jeune résistant
A 18 ans, élève ingénieur
à l'Ecole Centrale de Lyon, il est arrêté le 8 janvier
1944, dans une officine de faux papiers, place des Célestins. On
achetait une carte dans les bureaux de tabac, une photo, un timbre. Il
fallait des cartes de travail, des Ausweis, des cartes d'alimentation.
Il faisait aussi du lavage de vrais papiers et changeait les identités.
Le correcteur, c'était de l'eau de javel à température
adéquate pour que le papier ne jaunisse pas. Il est tombé
dans une souricière tendue par la milice, l’équipe de Francis
André, dit "gueule tordue" travaillant en collaboration avec la
Gestapo.
Il est emmené à l'Ecole
de Santé Militaire, au siège de la Gestapo : il connaît
le supplice de la baignoire, avec des miliciens et la Gestapo, puis la
prison de Montluc. Il était avec le colonel Ganeval, et le responsable
du réseau Marco Polo, Jacques Bergier.
A 7 heures du matin, les prisonniers
sont réveillés pour l'appel des gens à fusiller. Colin,
18 ans, un condamné à mort parce qu'il avait fait dérailler
un train, charcutier de son métier, spécialiste de quenelles
de brochet, leur a dit qu'il saurait mourir en Français.
Il subit des interrogatoires, sous
le nom de Paul Cabanel. Comme les Allemands ne cherchaient que des papiers,
ses parents ont pu se cacher.
Repéré comme juif,
il est transféré à Drancy, d'autres compagnons sont
envoyés à Compiègne.
A Drancy, il rencontre deux jeunes
scouts, René et Henri Badour, et leur sœur, Liliane, catholiques,
raflés le 10 janvier 1944, à Biarritz, à la place
de leurs grands-parents d'origine juive.
Déporté à Auschwitz
(1944)
Après un voyage de 3 jours
dans la promiscuité où les gens crient, pleurent, où
il n'y a plus de barrières sociales, il se retrouve au Camp d'Auschwitz,
le 6 février 44.
A l'arrivée, un SS choisit.
D'un côté les hommes, de l'autre les femmes. 200 hommes vont
au camp d'Auschwitz et 69 femmes vont rejoindre le camp des femmes à
Birkenau. Les autres, il l'apprendra après, seront immédiatement
gazés.
Dans la caserne d'Auschwitz, il
est affecté au block 11, la prison. Rasé, tatoué,
n° 173295, en tenue rayée, il est affecté à un
Kommando.
Il a beaucoup de difficultés
car il ne parle pas allemand. Il arrive à rentrer dans l'usine d'armement,
l'UnionWerke, grâce à l'aide de Stroumza, un déporté
d'origine grecque. "Spécialiste", il travaille de nuit, de 6 heures
du soir à 6 heures du matin, avec repos le dimanche, c'est à
dire 1 ou 2 heures de tranquillité. Il échappait à
l'appel. Il va même réussir à faire venir à
l'Union la jeune fille rencontrée à Drancy, qui était
dans un Kommando de pierres.
Il y avait des sélections
périodiques. En septembre 1944, les détenus sont consignés.
Tout le monde est tout nu au milieu des SS. Devant les blocs, les SS et
les médecins trient ceux qui doivent vivre et ceux qui doivent mourir.
On relevait le n° de ceux qui avaient été sélectionnés
et on les envoyait à Birkenau.
La marche de la mort ( 1945)
A l'approche des Russes, le 18 janvier
1945, le camp est en effervescence. Les détenus sont rangés
en colonnes par 5.
Un copain, Milou, a volé
des bottes pour lui mais elles lui abîmeront les pieds, il en porte
encore les cicatrices.
60 000 personnes du complexe d'Auschwitz
ont été lancées sur les routes, par moins 18°
ou moins 20°. La nuit est claire. Cela lui fait penser à la
retraite de Russie. Les Allemands reculaient et eux, ils marchaient. Il
faisait froid. Des déportés avaient des godasses à
semelles de bois, avec une tige pour tenir la toile. Les tiges se séparaient
très vite du bois. Les gens allaient pieds nus dans la glace, déchiraient
des couvertures qu'ils se mettaient autour des pieds, mais il fallait avancer.
Les pieds, les jambes gelaient, ils tombaient.
5 000, 6000 personnes ont été
abattues d'une balle parce qu'elles n'avançaient plus.
N'ayant pas pu après le
travail prendre leurs affaires, ils sont partis avec un pain, marchent
pendant trois jours et trois nuits. Ils sont fatigués. Il était
avec 5 ou 6 Français qui portaient leurs provisions dans une couverture
à tour de rôle. L'un d'eux s'est fait voler.
A Gleiwitz, on les fait monter dans
des wagons à bestiaux ou dans des wagons à charbon ouverts.
Il neige, il fait froid sur les plates formes. Des gens ont les pieds gelés.
Ils essaient de se réchauffer les uns les autres. Ils ont faim,
ils ont soif, et quand on a soif, on devient fou, ils ont mangé
de la neige. Il y a des morts.
Le camp de Gross-Rosen est atteint.
Des carrières de pierres. Ils sont un millier, on les entasse pour
la nuit. Le lendemain, on les fait mettre nus. Ils sont persuadés
qu'on va les gazer. On leur échange leur tenue rayée contre
des vêtements civils, avec une croix de Saint André, un pain.
Les Allemands voulaient récupérer les vêtements des
déportés d'Auschwitz pour voir s'il ne restait pas des bijoux
cachés dans ces vêtements car Auschwitz était un camp
"riche", avec des bijoux, de l'argent, au "Canada".
Les SS marchaient avec des sacs,
des valises contenant des objets volés et les faisaient porter par
des détenus qui les laissaient choir dans le noir.
Ils remontent dans des wagons fermés
cette fois. Ils ont soif, certains délirent. Au bout de 7 jours,
sans manger et sans boire, ils arrivent à Zwickau. Ils trouvent
des prisonniers français, mais ceux-ci ne peuvent leur donner à
boire. Raphaël est dans un wagon avec Ernest et un étudiant.
Ils ne voulaient pas mourir comme des rats. Envisageant de se faire aider
par les prisonniers français, il tente de s'évader avec Ernest,
le troisième n'a pas sauté. Ils mangent de la neige.
Arrêtés par un type
de l'organisation Todt, ils sont emmenés chez le garde- barrière.
La police allemande arrive. Ernest reçoit une balle dans la tête.
Raphaël dit qu'il est né en Turquie, il est épargné.
Un SS venu du convoi lui retire
sa ceinture. Raphaël croit qu'il va mourir : un évadé,
on le pend. Le SS avait rendez- vous, gare de Zwickau, où le train
les attendait. Il rentre dans un bistrot, lui, reste dehors. Il faisait
moins 25 ou moins 30°. Une femme le regarde par la fenêtre. Ses
yeux étaient implorants. Le SS l'amène à la gare,
le chef SS du convoi lui fait une manchette qui l'étourdit.
- "Pourquoi ne l'as-tu pas descendu"
dit-il au SS ?
Raphaël est remonté
dans son wagon.
Dachau, la place d'appel, la douche,
les blocks.
Ils arrivent à Dachau. Il
y a le typhus. On les enferme dans une baraque. Il s'attendait à
être descendu, toujours pas de SS. Des gens meurent par dizaines,
par centaines. Il y reste 15 jours, puis il est transféré
dans le Waldlager, le camp dans la forêt, près de Ampfing,
où il transporte du ciment pour une usine souterraine d'armes secrètes.
On y meurt de faim et il y a beaucoup de dysenterie. Le 25 avril 1945,
le camp est évacué. Epuisé, il se retrouve dans un
wagon. L'aviation alliée bombarde le train, en faisant des morts
et des blessés. Raphaël laisse sa place à quelqu'un
de plus blessé que lui, et qui est tué, à cette place
qu'il vient de laisser.
Libération
Enfin, le 1er mai il est libéré
à Tutzing, au bord du lac de Starnberg, par les Américains.
Il reste un temps dans une maison de la jeunesse hitlérienne.
Le retour
Au retour, en uniforme de la jeunessse
hitlérienne, il est passé à Paris, par le Lutétia,
centre de contrôle. Puis il rentre à Lyon, le 26 mai 1945
.Il va reprendre ses études et retrouver Liliane qui est revenue
de Birkenau.
Chacun a son histoire. " Le témoignage,
c'est l'expression individuelle d'un destin collectif" a dit le Doyen Dominique
Borne.
Raphaël Esrail est secrétaire
général de l'Amicale des déportés d'Auschwitz.
Témoignage, Janvier 1992
au lycée Edgar quinet
Notes, Nicole Mullier
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