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La liste H-Français
une liste professionnelle disciplinaire à la croisée des chemins

(Dominique PASCAUD - PNER - janvier 2002)


Avec plus de 1300 colistiers la liste H-Français regrouperait autour de 5% des professeurs d'histoire géographie du secondaire. Les objectifs de la liste tels qu'ils apparaissent sur le message d'accueil et dans les formulations de ses éditeurs peuvent se résumer en deux points :
"H-Français est un lieu d'information des enseignants" qui offre "des débats sur les "nouveautés" historiographiques et des compte-rendus d'ouvrages, de conférences, de logiciels etc.."
mais c'est également "un vecteur de formation réellement continue des enseignants" qui trouvent sur la liste "des réponses à leurs problèmes pédagogiques, des exemples de séquences pédagogiques incluant les nouvelles technologies, une assistance pour mener leurs projets pédagogiques."

Plusieurs séries de données ont été élaborées et réunies pour approcher les réalités de la liste et de ses usages.
S'agissant d'un travail exploratoire l'accent devait être mis sur les initiateurs, ce qui a donné lieu à plusieurs entretiens.

D'abord avec François Jarraud, fondateur et éditeur de la liste, il s'agissait de mettre l'accent sur le point de vue du modérateur principal. Cet entretien a été complété par une série d'échanges mais aussi par l'observation, sinon l'analyse, de ses interventions sur la liste, en particulier à des moments cruciaux, ainsi que de plusieurs articles dont il était l'auteur. Nous avons aussi rencontré deux autres responsables de la liste ou de l'association qui ont accepté de répondre longuement à nos questions et aux demandes de précisions ultérieures que nous avons pu leur adresser.

Nous avons réalisé des sondages dans les archives de la liste autour de quelques points saillants : naissance de la liste, débats sur la modération, échanges autour de l'épreuve d'étude de documents en géographie au baccalauréat … à cela s'ajoute l'apport d'une veille attentive et systématique sur plusieurs mois de fonctionnement.

Nous avons également utilisé les synthèses thématiques des messages de la liste que l'association des Clionautes publie sur son site autour de quelques moments forts ( le 11 septembre par exemple ).

Outre le site de l'association il est possible de repérer un certain nombre d'autres sites animés par des colistiers : pour quelques uns d'entre eux nous n'avons pu faire mieux qu'un survol tant la matière est riche et proliférante.

Nous avons enfin construit un questionnaire détaillé qui a été centré sur les usages de la liste. Nous n'avons pas encore de résultats exploitables car des problèmes techniques ont retardé sa mise en ligne. Nous l'avons cependant testé à l'occasion de plusieurs entretiens qui ont été menés avec des colistiers dans la région lyonnaise.

En tout état de cause il devrait fournir prochainement des données importantes pour éclairer l'univers d'une liste qui participe d'abord de l'univers professionnel des professeurs d'histoire géographie dont elle est souvent perçue comme le rameau le plus porteur de ferment novateur.

La présentation de ce qui se joue avec la liste s'organisera autour de trois axes principaux : développement, usages, positionnement dans le champ professionnel considéré.
 
 

Le développement de la liste

La liste est née en 1996 de l'initiative individuelle de deux enseignants. Il faut donc souligner d'emblée deux caractères majeurs : la précocité, car c'est l'une des premières listes de cette nature, et l'indépendance affichée vis à vis de l'institution scolaire.

Arrêtons-nous un peu sur la phase initiale, celle de la première année d'émergence sous le nom de liste Clio. C'est l'époque du bouche à oreille dans un milieu que l'un de nos interlocuteurs a qualifié de "vieux pionniers". Le succès vient de la capacité à se nourrir de nombreuses initiatives locales et à trouver des relais solidement implantés, y compris dans l' association des professeurs d'histoire géographie.

Les premiers membres de la liste sont une poignée, d'abord 6, puis 200 un an plus tard.
On retrouve parmi eux des auteurs de logiciels pédagogiques, souvent en auto édition, des formateurs Mafpen ou des professeurs actifs et porteurs de dispositifs innovants dans leurs établissements. Ce ne sont pas des novices : certains se sont formés à l'informatique dans le cadre du "Plan informatique pour tous" au début des années 80.
On peut parler alors d'une petite communauté dynamique, en pointe, fédérée davantage par les technologies nouvelles que par l'histoire géographie.

Pourtant il est frappant et remarquable de noter la prégnance d'une autre dimension qui se constitue autour de préoccupations pédagogiques très affirmées qu'il s'agisse de mettre les élèves en activité, par le jeu pour les uns ( "moi c'est d'abord la pédagogie qui a primé, j'ai d'abord transposé en informatique ce que je faisais sur le papier"), par les enquêtes de terrain pour d'autres, comme F. Jarraud qui, sur l' ancienne liste Clio, posait cette question :
" comment transformer le professeur de dispensateur unique d'un savoir 
qu'il sanctionne en partenaire dans la construction du savoir ?"


Cette première liste reste très artisanale,
gérée à partir d'un simple ordinateur personnel, elle garde une dimension humaine alors même que pointe déjà le souci d'une plus grande visibilité que pourrait lui apporter la croissance numérique et une certaine reconnaissance institutionnelle. Ainsi ces remarques de l'un des fondateurs de la liste dans le bulletin 309, à la suite d'un premier congrès tenu en juin 1996 : " on a parlé du nombre à Paris, et j'aime bien l'effectif actuel : 3 à 4 messages quotidiens c'est raisonnable. H-France en distribue parfois 15 par jours (750 adhérents), c'est presque ingérable pour le lecteur. Plus encore que le nombre, j'apprécie le réseau humain en cours de création".

A l'issue d'une année de fonctionnement sa croissance est telle qu'il lui faut élargir son assise technique. Le choix est fait de s'affilier au réseau américain H-net, premier réseau mondial de listes de discussion en histoire. Dans l'annonce aux colistiers le 1er octobre 1997 cette option est justifiée par le progrès technique mais aussi par l'ouverture mondiale qui en résulteraient. 


La croissance s'amplifie dans les trois années qui suivent jusqu'à atteindre un peu plus de 1300 personnes à l'automne 2000. Un certain plafonnement est alors sensible puisque les derniers chiffres indiquent aujourd'hui 1325 colistiers. En réalité les données brutes masquent des flux, de désaffiliations par exemple, plus complexes et mal commodes à saisir. Un nettoyage des adresses périmées de la liste a ainsi fait disparaître d'un coup 200 personnes au printemps 2001 alors que la tendance des trois derniers mois serait à une très nette reprise.

En tout état de cause si l'on rapporte le nombre d'abonnés à la cible potentielle des professeurs d'histoire géographie, le taux d'adoption est de l'ordre de 5% : il s'agit donc d'un franc succès.

Un comptage sur la période qui va de fin mai 2001 à mi-janvier 2002 permet d'établir une moyenne de 11,2 messages quotidiens. Si l'on retire les mois de juillet-août on obtient 13,9 messages avec un étiage le vendredi (11,44) et une pointe le lundi (14,92). Les journées vides sont rares et à une exception concentrée sur la période d'été, tandis qu'à l'autre extrémité une seule dépasse la barre des trente messages.

Sur cette même période, 5 contributeurs cumulent presque 25% des messages, 4 d'entre eux, piliers de l'association sont à l'origine de 17,8% tandis que les deux fondateurs envoient 12% du total. A côté de cette très forte concentration on rencontre une extrême dispersion avec un noyau réduit de colistiers qui participent régulièrement et pour lesquels on peut noter entre 10 et 30 messages sur les 7 mois considérés. On retiendra qu'une grande majorité de colistiers restent inertes.

Le dépouillement des messages que nous avons effectué pour la même période donne une trentaine de colistiers au-dessus de 30 messages, ce qui signifie une moyenne d'au moins un message par semaine. Entre 5 et 30 messages émis, c'est à dire au moins 1 par mois, et avec une distribution très nettement inscrite dans le bas de cette fourchette, on trouve une cinquantaine de personnes. Pour le reste,160 colistiers envoient entre 1 et 5 messages et 210 autres se contentent d'un seul message. 450 colistiers ont participé, c'est à dire 1 sur trois.

Telle est l'assise apparente qui charpente et structure la liste. Elle se matérialise dans une association des "Clionautes" qui s'est créée dès le mois d'avril 1998 par regroupent des principaux acteurs de la liste. Un site coopératif lui sert d'outil de travail mais aussi de vitrine. On y trouve par exemple la mise en ligne des archives de la liste, des pages de synthèse thématique, un recensement des sites gérés par des clionautes, la présentation des projets en cours correspondant à des partenariats avec des éditeurs, les renvois au butinage …
Force est de constater que si le site connaît une fréquentation en hausse régulière passant d'une moyenne autour de 3000 visiteurs par mois en 1999 à 10 000 pour l'année 2000 et plus de 20 000 pour l'année 2001, il n'en reste pas moins que malgré de nombreux efforts l'association ne parvient pas à se développer et reste stable autour d'une centaine d'adhérents.
 

Les usages de la liste

Dans l'attente du questionnaire qui donnerait la parole à la majorité silencieuse de la liste il est nécessaire de partir de ce qui est observable, c'est à dire en particulier des messages émis.

Plusieurs types de regroupements semblent possibles pour dégager la trame des échanges. 
F. Jarraud avait montré que la moitié des messages concernent d'abord les disciplines enseignées avec un poids sensiblement supérieur pour la géographie. Il nous a semblé utile de faire apparaître trois grandes catégories en gardant en tête qu'elles peuvent concerner de façon différenciée les acteurs qui interviennent.

D'abord les informations d'ordre général, disciplinaire, professionnel ou technique qui renvoient souvent à toutes sortes de recensions qu'il s'agisse de sites, de liens, de revues de presse, de colloques ou de publications. Les 5 contributeurs principaux fournissent une bonne part des matériaux et quadrillent soigneusement et méthodiquement le terrain professionnel.

Ensuite viennent les échanges qui s'installent en surplomb de l'activité au jour le jour : pour comparer les manuels dont on sait l'importance qu'ils ont dans la formation continue des enseignants, pour réagir aux programmes ou aux épreuves d'examen, pour faire face à des exigences nouvellement introduites comme les TPE ou les itinéraires de découverte, pour annoncer ou pour comparer des expériences pédagogiques locales. Les échanges mêlent ici interventions croisées des anciens, en général le noyau dur, et les occasionnels. On peut adjoindre à cet ensemble les réactions à tel ou tel événement marquant de l'actualité.

Enfin des demandes ponctuelles très précises faisant appel à des connaissances expertes sur le sens à accorder à telle inscription latine, sur la formule de calcul de l'IDH, sur les avantages comparatifs d'un logiciel de gestion des notes, sur le programme de l'agrégation interne comme sur les mille et une subtilités administratives qui jalonnent la carrière d'un enseignant. C'est là que l'on rencontre le plus de messages uniques.

Au jeu des balances inégales, il faut relever un double déséquilibre en faveur de la géographie contre l'histoire, en faveur du lycée face au collège. Ainsi cette apostrophe le 11 décembre : 
" Je ne comprends pas pourquoi sur la liste les sujets concernant le collège ne rencontrent aucun succès ? N'y a-t-il que des profs de lycée ? Est-ce les sujets qui n'intéressent pas ? "
La deuxième catégorie est particulièrement intéressante à examiner puisque l'on y rencontre des échanges suivis avec plusieurs interlocuteurs. 
Si nous dépouillons la synthèse thématique réalisée par l'association des clionautes et référencée sous le titre "Dossier documentaire au bac, échanges sur la liste H_Français, novembre-décembre 2000", nous pouvons décortiquer le mécanisme d'une séquence complète. 20 participants ont échangé 23 messages sur 6 jours. La séquence s'ouvre le 30 novembre par un long message offrant à la discussion et à la critique une "fiche méthode" pour la correction au bac afin de "profiter de la puissance de la liste pour arriver dans une certaine mesure à des positions communes". Si l'on se reporte aux groupes que nous avons définis dans notre observation au long cours de l'année 2001, 5 seront des gros contributeurs, chacun d'entre eux se succédant jour après jour ce qui contribue à faire rebondir le débat, 6 seront des contributeurs moyens, 5 seront des contributeurs à un message et 4 n'enverront rien dans cette période.

Des positions très contradictoires s'affrontent, permettant à chacun de constater les "bonnes raisons" que donnent les uns et les autres pour agir autrement. Le débat se clôt le 5 décembre par une synthèse des contributions. Elle émane de l'un des fondateurs de la liste, qui apporte de surcroît, outre des informations copieuses, l'ouverture de perspectives de mutualisation sur le thème des corrections de copies en renvoyant au travail entrepris sur un site académique.

A partir des effets immédiatement observables nous voudrions formuler des hypothèses si ce n'est des conclusions provisoires.
La liste offre des débouchés à un certain nombre d'initiatives. Elles sont parfois à la périphérie du champ professionnel des colistiers comme dans le cas des travaux et projets de recherche universitaires ou des éditeurs multi médias. Elles sont surtout directement issues de ce champ professionnel. Les sites personnels plus encore que les sites d'établissement, les sites académiques parfois gérés par des clionautes, des sites-portails plutôt centrés sur les collèges, tous ont besoin de visibilité pour exister.
Notons, à partir d'une question sur les apports de la liste, cette réaction d'un clionaute à propos de son site personnel : "une satisfaction à l'ego, j'ai fait ça … je peux le montrer …que ça puisse être repris !" 

La liste garde des traces de l'activité souterraine de plusieurs mini-projets, en partenariat avec des éditeurs par exemple, et pour lesquels l'association a souvent servi de vecteur. En réalité on peut voir naître ces groupes de projet sur la liste mais l'essentiel des communications lui échappe ensuite pour s'établir en e-groupes parallèles.
En une seule occasion la liste a relayé une activité de groupe de pression que l'association s'est résolue à mener, dans son domaine de compétence et malgré des résistances internes, à l'occasion de la consultation nationale sur les programmes de première en géographie.


Le gros de la liste, la majorité silencieuse, reste largement une terra incognita..

On émettra provisoirement deux hypothèses de travail.
L'idée d'abord que l'existence même d'une liste résolument inscrite dans un cadre disciplinaire, d'une liste qui multiplie l'information et en accélère les délais d'accès, d'une liste qui rend visible et accrédite des opinions, des analyses, des connaissances touchant au travail même des personnes, ne peut que renforcer le groupe des professeurs d'histoire géographie et contribuer pour les individus qui le constituent à étayer une identité professionnelle propre. 

L'idée ensuite que la liste est peut-être un lieu à travers lequel peut s'amorcer un processus d'apprentissage organisationnel, sans doute lent, sans doute limité dans son ampleur mais dont la liste Clio des origines semble fournir un exemple.
De nombreuses expériences pédagogiques innovantes sont soumises par quelques uns au regard de la liste mais qu'en est-il de leurs retombées et de leurs effets ?

Les initiateurs et nombre des éléments moteurs de la liste appartiennent de toute évidence au courant de la rénovation pédagogique sans pour autant se rattacher à aucune chapelle. Tout montre que leur ambition a d'abord été de construire une liste à vocation pédagogique. Les Tice apparaissent dans leur esprit comme un moyen de renouveler l'enseignement de l'histoire ou de la géographie et de favoriser en particulier l'activité des élèves. Pour tel protagoniste disséquant le rôle de l' Internet à l'école, il s'agit par exemple de percer "une nouvelle fenêtre dans les établissements", de remettre en question "l'organisation horaire, le cloisonnement des enseignements … et avec eux une bonne partie de nos habitudes". Tel autre se projetant dans l'avenir imagine que pour "les clionautes j'aimerais bien que plus tard on nous perçoive comme le GFEN, des pédagos de l'histoire géo, informatique, échanges, réseau …".
Un troisième insiste sur "la mise en activité et en autonomie des élèves" avec "un prof accompagnateur". En réalité tous nos interlocuteurs ont souligné la primauté à leurs yeux de l'innovation pédagogique comprise comme une action concrète, en situation, issue de leurs pratiques personnelles. 

L'écart entre ce modèle et les réalités de la liste apparaît crûment dans la critique que dresse l'un de nos interlocuteurs " du fatras anti itinéraires de découverte qui passe en ce moment sur la liste" ou dans la crainte exprimée par un autre que la liste ne soit aussi "un vecteur d'expression du corporatisme et du mal être de certains".

L'importance numérique des colistiers passifs de la liste, des "passagers clandestins", peut entraîner des interrogations sur la distance qui subsiste entre "une poignée d'enseignants innovants dans leur réflexion, dans leurs pratiques et dans les moyens qu'ils utilisent et une masse attentiste voire réfractaire" pour reprendre la formulation de tel formateur qui dans la même phrase rapproche colistiers passifs et comportements consuméristes trop fréquents à son gré dans ses stages de formation continue.

A dire vrai, une plongée dans les archives de la liste montre que le problème est récurrent en ce qu'il intéresse d'abord des formateurs, comme le montre cet extrait du bulletin 82 de la liste Clio, dans lequel l'un des piliers des clionautes, alors intervenant Mafpen, lance un débat sur les pratiques et les usages de la formation :

"Je crois animer des stages qui tournent, qui satisfont (semble-t-il) les collègues. J'ai quelques indicateurs pour affirmer ceci : les grilles d'analyse de stage, les productions effectuées, le suivi des stages … Et pourtant, pour avoir repris contact avec la plupart des équipes que j'ai rencontrées, il me semble que le réinvestissement dans la pratique courante reste faible, en tous cas assez décevant". 

Jusqu'à quel point peut-on reprendre ce constat pour la liste ?
Le fait est que l'apprentissage à partir de la liste a d'abord été celui d'un noyau dur qui a permis un élargissement sensible au-delà des pionniers fondateurs.
A ce premier cercle il faut ajouter les effets d'une imprégnation par capillarité qui, à partir de la liste, peut contribuer à irriguer de proche en proche des établissements ou les IUFM.
Le projet d'une université d'été en gestation depuis un moment et dont le principe vient d'être adopté par l'association pourrait peut-être permettre d'élargir encore le noyau dur. Il s'agirait en effet d'utiliser et de renforcer l'apport du potentiel de la liste en matière de formation puisque l'on peut imaginer que la cible privilégiée d'une telle action serait à chercher, au moins en partie, du côté de la partie obscure           de la liste.

 

Le positionnement

Il faut d'abord considérer les modalités de régulation de la liste. La modération est le fait essentiel, déterminant. Le modérateur, aidé le cas échéant d'un comité éditorial est l'élément clef du dispositif H-Français. Il s'agit pour lui de trouver un équilibre forcément précaire et périlleux entre les exigences de la liberté d'expression et les objectifs initiaux de la liste.

La modération est assurée le plus souvent par l'un des fondateurs.
Au départ la liste était gérée depuis son ordinateur. Quand Clio se transforme en H-Français, le texte d'intention proposé aux colistiers indique que "la liste H-Français est "modérée" par des éditeurs ou "modérateurs". Elle accueille les discussions professionnelles et courtoises. Les éditeurs veillent notamment au niveau professionnel de la messagerie."

Sur ce point, qui va devenir la référence et la pierre angulaire de la modération et partant des échanges sur la liste, un colistier qui entrera un peu plus tard en dissidence demande aussitôt en conclusion d'un pastiche sous forme d'une déclaration à la manière du président Mao : "les contributions délirantes auront-elles leur place … ?" En fait il va s'avérer que non.

"Professionnalisme et courtoisie" sont bien les deux termes d'une "convention" qui n'allait pas de soi. Bien sûr elle permet, et c'est sans doute l'essentiel, de fonder un espace de parole, une cité commune des professeurs d'histoire géographie, mais elle a un coût. 

La nouvelle liste a connu des dissidences qui ont surgi, au moment de sa phase de plus grande expansion, à l'occasion de contestations et de remises en cause de la modération et du modérateur. On peut résumer l'enjeu en notant que la convention fondant la nouvelle liste excluait le débat politique (c'était somme toute l'enjeu de la dissidence) et plus généralement tout prosélytisme, tout comme elle excluait le commerce. La croissance de la liste n'a été en rien affectée par cette crise. 

D'un côté les colistiers ont bénéficié, si l'on reprend des extraits significatifs des archives de cette période, d'un "assez bon rapport signal/bruit" par rapport au chaos d'une liste non modérée, d'un "remarquable outil professionnel et convivial", peut-être aussi de ce que peut apporter de commodité une liste unique qui fonctionne comme une place de village puisque les initiatives concurrentes doivent se résoudre à accepter un rapport de complémentarité pour rester visibles.

D'un autre côté, faire cohabiter des sensibilités qui ailleurs peuvent tirer à hue et à dia, sans se satisfaire d'un consensus superficiel qui pousse au corporatisme est un pari ambitieux. 

En tout état de cause la modération, c'est d'abord une charge très lourde, au moins une à deux heures par jour, sept jours sur sept. Il faut trouver "comment convaincre des colistiers, persuadés que leur message est nécessaire à la vie de la liste, de le modifier ou de ne pas le passer", il faut pouvoir "endosser le rôle de censeur". Plusieurs cas sont possibles : "le ton ou le contenu du message est injurieux ou inutilement polémique; la discussion s'enlise; le message est de nature à ouvrir une polémique stérile; le message est sans rapport avec l'objet de la liste". D'un modérateur à l'autre, l'attitude, aller droit au but en cas de dérive ou dialoguer jusqu'aux limites du raisonnable, peut différer quant aux formes mais pas sur le fond. Le libre accès aux archives de la liste renforce la visibilité du fonctionnement.

L'environnement d'une liste disciplinaire c'est aussi l'ensemble des relations qui sont nouées avec l'institution scolaire aux différents niveaux de la hiérarchie d'une part mais aussi avec des éléments cruciaux du champ professionnel comme par exemple les associations professionnelles disciplinaires, les revues universitaires, les éditeurs de manuels scolaires.

Au sommet de l'institution scolaire l'existence de la liste, son succès, sa précocité même, l'activité de l'association ont provoqué au minimum une certaine curiosité qui a pu se traduire par des rencontres et des contacts.

Aux niveaux intermédiaires de l'institution on peut constater la présence croissante de nombreux clionautes : animation de sites rectoraux, formation TICE ou formation en didactique, interlocuteur académique pour les nouvelles technologies voire directions de CRDP ou fonctions d'inspection. C'est le résultat d'une capacité d'expertise, d'une implication personnelle forte, d'un intérêt pour la formation, autant d'aspects qui tiennent d'abord et avant tout aux individus et à leur trajectoire personnelle.

Par certains côtés, de par sa précocité, la liste a rempli un vide que l'institution avait laissé se créer et elle a su maintenir jusqu'à maintenant son indépendance. Les listes académiques qui se sont mises en place plus tardivement n'ont, sauf exceptions, qu'un rayonnement limité. Qui plus est, elles sont le plus souvent gérées par des colistiers.

Une récente polémique qui a ému la liste peut faire toucher du doigt les difficultés de positionnement face à l'institution. A la suite d'une critique assez maladroite remettant en cause l'intérêt de son site personnel, un collègue, bien connu sur la liste, a décidé de le fermer.
La critique émanait d'un professeur écrivant dans une lettre d'information, éditée sous la responsabilité d'un inspecteur pédagogique régional, mais dirigée par … un clionaute.
Défense de la liberté pédagogique et du droit à l'expérimentation contre menace de normalisation ou d'estampillage académique mais aussi liberté de la critique tels sont les termes qui ont jalonné un débat d'abord révélateur de difficultés de positionnement .

Le poids institutionnel de nombre de ses acteurs de premier plan est un atout pour la liste et pour l'association qui bénéficient ainsi d'une mutualisation des informations, des expériences, et des réflexions de collègues actifs et impliqués.

Que l'on considère leur enracinement dans le terreau de la rénovation pédagogique au quotidien, leur appartenance fréquente aux diverses strates de ce qu'il faut bien nommer l'encadrement d'un groupe professionnel, leur ouverture à d'autres démarches qui sortent du cadre disciplinaire strict (comme l'expérience du Café Pédagogique, comme les partenariats noués dans le domaine du multi média, comme les rubriques Internet et multimédia des grandes revues de géographie …) tout pousse les acteurs les plus en vue à la multi-activité


Si l'on peut légitimement considérer, pour reprendre une formule utilisée au printemps 2001 par une responsable de l'association, que "le dispositif des clionautes (me) semble de plus en plus s'imposer comme la principale structure de dynamisme, de créativité et d'innovation", il n'en reste pas moins que cette multi-activité, de règle pour une catégorie d'acteurs qui cumulent les casquettes et les appartenances, peut entraîner deux conséquences : la prise de distance quand la trajectoire personnelle pousse vers d'autres horizons ou d'autres responsabilités mais aussi le surmenage et la lassitude.

A l'analyse nous avancerons donc l'idée que ce dispositif, adossé à la liste H-Français, est aujourd'hui à la croisée des chemins entre une mutualisation encore en pointillé et qui reste à construire, une institutionnalisation rampante et la force d'attraction du marché.

Dominique Pascaud - PNER - 2002

PNER - Etude : Les communautés délocalisées d’enseignants - rapport final - H-Français  p 73 
http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/00/18/81/PDF/rapportfinal.pdf

Lire également
Les Clionautes : approche des effets d'une liste de diffusion sur la structuration professionnelle
du groupe des professeurs d'Histoire Géographie (DP 01-09-2004)

http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00000691

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