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Comment vendre à la découpe le service public


En décembre, Le Monde diplomatique a publié un dossier à lire et à archiver, 
http://www.monde-diplomatique.fr/2009/12/A/18638
notamment l’excellent article de Laurent Bonelli et Willy Pelletier. 
http://www.monde-diplomatique.fr/2009/12/BONELLI/18585
 

Le dossier met l’accent sur 2 évolutions majeures récentes :
- Le rétrécissement multiforme de la surface de l’Etat
- La caporalisation de l’action publique

Le rétrécissement se mesure
- dans les effectifs : suppression de postes dans l’éducation (80 000 postes de profs), dans 
l’armée ( 45 000 ), dans la santé, dans les télécoms (22 000 suppressions à FT entre 2005 et 2008)
- dans le transfert d’activités vers le secteur privé,
- dans la décentralisation : les collectivités doivent faire face à de nouvelles charges sans que les moyens nécessaires aient suivi.

La découpe du service public prend la forme d’une succession de glissements :
- Désorganisation et dissociations des diverses branches (courrier et Telecoms aux PTT, réseau et exploitation à la SNCF…)
- Filialisation et délégation au privé
- Passage graduel du public au privé dans le statut des agents qui mélange des statuts hétérogènes (fonctionnaires et précaires)
- Imposition d’un mode de gestion venant des entreprises privées et de critères de rentabilité (les mots changent, le patient devient un " client ")…

" Qu’est-ce qui est rentable ( à l’hôpital ) ? Au fond. ce qui est facilement quantifiable, numérisable, vendable. Ce sont les procédures techniques, de gravité moyenne, programmables, chez des gens qui n'ont pas de problèmes psychologiques et sociaux. La cataracte simple, faite en série. Et qu'est-ce ce qui n'est pas rentable ? Tout ce qui est dans la complexité : la pathologie chronique, le sujet âgé, les facteurs psychologiques et sociaux. (...) On a simplement oublié que l'hôpital soignait les pauvres et les cas graves... "

La caporalisation se traduit
- par le renforcement des hiérarchies et du contrôle ,
- par une gestion managériale autoritaire.
Les études de cas viennent de la santé (dans le premier projet, le patron de l’ARS pouvait nommer et révoquer à sa guise les directeurs d’hôpitaux), de la justice, de la prise en charge des chômeurs.

" Les candidats à ces nouveaux postes de manager public ne manquent pas. Pour y accéder, sont déterminants les liens personnels avec le prince ou ses conseillers – qui par là se constituent une clientèle d'obligés. Ces nominations ne sont pas seulement symboliques : primes, salaires indexés sur les "objectifs" viennent compléter ou remplacer les grilles indiciaires de la fonction publique ".

Cette transformation [tient en partie ] à la mobilisation des noblesses d'Etat qui la promeuvent et s'en font gloire, de plaquettes d'instructions en bilans satisfaits.
Elle tient plus encore à " l'activité incessante et cumulée des milliers d'agents publics, qui peut-être n'en veulent pas, mais qui, réalisant leur métier, quoi qu'il en coûte, "font avec ", et l'intègrent comme ils peuvent aux "choses à faire".

" En matière de démantèlement de l'Etat, l'efficacité tient à ce paradoxe: la situation antérieure d'accomplissement du service public - la relation au métier, les dispositions sociales (de dévouement, d'implication) constitutives de celle-ci - permet l'application des réformes qui détruisent les formes habituelles de son exercice et les raisons de s'y impliquer ".
" …indépendamment des sacrifices, des souffrances, du déboussolement et des tensions, les salariés qui subissent la " modernisation libérale " n'ont d'autre choix que d'y participer et de la mettre en oeuvre à tout instant. En l'habitant à leur manière. En s'en accommodant, Mieux : ils trouvent d'eux-mêmes les meilleures façons de faire, afin que tiennent des situations intenables, malgré la surcharge de travail. "
 

D’où vient une telle entreprise méthodique de démolition ?
De la mise en œuvre par Thatcher et ses successeurs du NPM (New Public Management) à partir de 1979, de politiques brutales déguisées sous les discours sur la concurrence (non faussée) et sur " le choix " du citoyen changé en " consommateur ".
L’opposition entre service public - entreprises privées, le souci de la privatisation est un vieux classique à droite.
La volonté de détruire l’Etat providence et d’en finir avec les structures mises en place au nom des politiques keynésiennes a pris la suite dans les années 1970. 
Pour la France, où dater la rupture ? 2003 ou 2007 ?

Que faire face à cette découpe planifiée ?
Le dossier cite les nuances apportées par les travaillistes, mais pas l’Appel des Appels qui vient de faire son premier bilan.

" Certes, les protestations abondent. Magistrats, avocats, greffiers se sont mobilisés contre la carte judiciaire. Près de quarante-six mille salariés de Pôle emploi étaient en grève en octobre 2009. Les enseignants du supérieur ont longuement refusé la réforme de leur métier. Les médecins hospitaliers défilaient au printemps pour sauver l'hôpital public. Les professeurs du primaire et du secondaire multiplient les journées d'action. Mais, dans leurs soucis professionnels, dans leurs patrimoines (économiques et culturels), dans leurs origines sociales et leurs façons d'agir (même pour se mobiliser), les professeurs de médecine ne sont pas des postiers, des conseillers pour l'emploi, des greffiers ou des policiers. Comment les uns se soucieraient-ils des autres, spontanément, et a fortiori pratiquement?

Personne ne semble alors pouvoir soutenir personne, ce qui alimente le sentiment général d'écrasement. Or c'est précisément des confrontations nouvelles qu'elle installe (entre usagers et agents publics, et entre agents publics de différents niveaux et de différents services) que cette vague de transformation tire sa force. Et de leur dissimulation. En restituer les mécanismes dans leur ensemble, c'est déjà les contrarier et signifier qu'est en jeu la défense d’un modèle de civilisation ".

2 détails : 
- Le terme le plus fréquent dans un article sur la privatisation des services publics ? 
     L’Etat, au sens de sa version néo-libérale.
- La multiplication des indices et des objectifs de performance a nourri un surcroît de bureaucratie alors que la NPM prétendait la faire disparaître.

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