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Qu'est-ce que la laïcité ?

Henri Pena-Ruiz 
Folio Gallimard 2003

Compte rendu par Sylvie Rachet






Les extraits suivant sont tirés du livre d'Henri Pena-Ruiz

p 37 " Je suis homme avant d’être chrétien, ou juif ou libre penseur "
Introduction p 9 : 
" Certains hommes croient en un dieu. D’autres en plusieurs. D’autres se tiennent pour agnostiques et refusent de se prononcer. D’autres enfin sont athées. Tous ont à vivre ensemble. Et cette vie commune, depuis la première Déclaration des droits de l’homme, doit assurer à tous à la fois la liberté de conscience et l’égalité de droits. La liberté de conscience exclut toute contrainte religieuse ou idéologique. L’égalité de droits est incompatible avec la valorisation privilégiée d’une croyance, ou de l’athéisme. 
La puissance publique, chose commune à tous comme dit si bien le latin res publica, sera donc neutre sur le plan confessionnel: neuter, en latin encore, signifie exactement " ni l’un ni l’autre ". Cette neutralité confessionnelle est à la fois garantie d’impartialité et condition pour que chacun, quelle que soit sa conviction spirituelle (humanisme athée ou humanisme religieux par exemple), puisse se reconnaître en cette république, ou Cité, dont tous les membres se retrouvent ainsi sur le même pied d’égalité. […] L’émancipation laïque ne se réduit pas à un dispositif juridique minimal, ni à une simple abstention de l’Etat. "

Tolérance et liberté de conscience :
p 69 : "  Je ne viens pas prêcher la tolérance : la liberté illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré que le mot de tolérance, qui voudrait l’exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l’autorité qui tolère pourrait ne pas tolérer ". Mirabeau
 

" Un monde désenchanté" ?

p 97 : " Il n’est pas vrai que la laïcité soit synonyme d’un monde désenchanté, privé de repères éthiques et de références (morales). L’idéal laïque élève les hommes par ce qui les élève tout en les déliant "

p 27 : " Liberté de conscience, égalité des droits, bien commun par delà les différences…c’est tout un idéal qui retentit dans le mot laïcité "

p 236 : quant à l’affirmation du désenchantement du monde et de la perte du sens, " elle relève d’un double présupposé qui s’accorde mal avec la réalité. Il est suggéré d’une part que l’enseignement laïque n’assume pas la question du sens, et d’autre part que celle-ci est du ressort de la seule spiritualité religieuse.

Sur le premier point, il convient de rappeler que les programmes d’enseignement visent explicitement la formation du jugement éclairé, irréductible à la simple mémorisation de savoirs disparates, et préparent à une réflexion personnelle sur le sens, mais s interdisent d’orienter celle-ci dans une direction particulière. S’ils le faisaient, ils dériveraient en conditionnement. La compréhension scientifique du monde, le développement de la sensibilité littéraire et artistique, la culture historique, la réflexion philosophique sur les fins et les fondements, pour ne citer que ces exemples, constituent autant de types d’approches actives du sens de l’expérience humaine, et c’est toute la dimension d’éducation à la liberté qui se joue ainsi.

Sur le second point, s’il ne s’agit pas de nier l’importance de la spiritualité religieuse, il ne saurait être question d’oublier les autres formes de spiritualité. "
 


 

" Une laïcité ouverte " ?

p 128 " Faisons le même raisonnement pour la notion polémique de " laïcité ouverte ". La laïcité, rappelons-le, c’est l’affirmation simultanée de trois valeurs qui sont aussi des principes d’organisation politique: la liberté de conscience fondée sur l’autonomie de la personne et de sa sphère privée, la pleine égalité des athées, des agnostiques et des divers croyants, et le souci d’universalité de la sphère publique, la loi commune ne devant promouvoir que ce qui est d’intérêt commun à tous. 
Ainsi comprise la laïcité n’a pas às’ouvrir ou à se fermer. Elle doit vivre, tout simplement, sans aucun empiétement sur les principes qui font d’elle un idéal de concorde, ouvert à tous sans discrimination. La notion de laïcité ouverte est maniée par ceux qui en réalité contestent la vraie laïcité, mais n’osent pas s’opposer franchement aux valeurs qui la définissent. "

voir aussi le blog de Jean Baubérot (15/01/2005)
 

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" Une laïcité plurielle " ?
p 131 : " Deuxième invention polémique: la notion de " laïcité plurielle "
Que signifie ce pluriel que l’on croit pouvoir opposer à la laïcité, alors que dans sa définition stricte celle-ci permet l’expression libre du pluralisme des options spirituelles, religieuses ou non religieuses, dans le respect strict de l’égalité ? S’il s’agit de faire droit à çette pluralité au sein de la sphère publique, l’impossibilité que cela implique est évidente. Faudra-t-il y représenter toutes les options, et dans les mêmes proportions afin d’être équitable? Tâche pratiquement impossible, qui aurait d’ailleurs le grave inconvénient de morceler l’espace public, et à court terme de le faire disparaître sous la mosaïque des accaparements communautaristes. "
 
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" Laïcité d’incompétence " ???

p 224 : " Il n’est pas légitime de parler d’" analphabétisme religieux " lorsqu’on évoque les programmes scolaires, ni de " laïcité d’incompétence " comme a pu le faire le cardinal Poupard, feignant de croire que la retenue des instituteurs et des professeurs concernant le délicat domaine des croyances s’assortissait d’une impasse complète sur les phénomènes religieux. En réalité, l’évocation des guerres de religion, des croisades, de l’Inquisition, du rôle joué par la référence religieuse dans les affrontements intra- et intercivilisationnels est une chose. Celle du rôle civilisateur des grands érudits chrétiens, musulmans et juifs, ainsi que de la " paix de Dieu " médiévale, en est une autre. Les deux aspects sont à connaître, qui ouvrent à la réflexion sur l’ambiguïté du religieux et de ses effets idéologiques ou sociaux.

 Un telle réflexion ne peut être prétexte à polémique ou à prosélytisme, ni à simple débat d’opinion : elle requiert une approche philosophique et critiques sur les logiques du croire, les figures du fanatisme et de l’intolérance qui peuvent en résulter, mais aussi l’exploitation politique de la crédulité ou de la superstition. Kant ou Spinoza aident à réflechir sur le religieux dans un tel esprit " 


p 322, à propos de Régis Debray, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, Odile Jacob, 2002

"On ne peut attribuer au religieux une importance préférentielle sans compromettre, implicitement, la laïcité. Bef, c'est à une revalorisation de l'ensemble des humanités que doit s'attacher l'école laïque, sans accorder de privilège ni aux religions ni d'ailleurs aux humanismes d'inspiration athée ou agnostique. Si l'on peut déplorer qu’en présence d’une vierge de Botticelli, des jeunes élèves manifestent leur ignorance, on le peut tout aussi bien lorsqu’il s’agit de la Naissance de Vénus, du même Botticelli. Toute connaissance est bonne, qui forge la culture et la lucidité agissante appuyée sur elle. […]

Ainsi lorsque Régis Debray qualifie de "laïcité d’incompétence " la retenue des maîtres d’école en matière de croyance, alors qu’il dit dans le même texte qu’elle est tout à leur honneur, il risque une expression dont la dimension polémique peut l’emporter, dans le débat, sur le sens qu’il lui donne. […]

En réalité, les enseignants laïques ne se sont jamais déclarés incompétents pour instruire des faits, mais seulement pour statuer sur la valeur des croyances, ce qui est très différent. […]

Il est clair que l’école laïque doit donner à connaître les textes bibliques aussi bien que l’Iliade et l’Odyssée, les guerres de religion et les représentations du monde qui ont imprégné les différentes aires culturelles. Mais en les traitant comme de simples documents, dont la valeur normative éventuelle, relevant d’un credo particulier, ne saurait en aucune façon être affirmée ou niée dans le cadre de l’école laïque ".
 


 

" Une dette civilisationnelle " ?

à propos de Danièle HERVIEU-LÉGER, La religion en miettes ou la question des sectes, Calmann-Lévy, 2001.

" Mû par une démarche qui relativise voire critique la laïcité, ce travail entend s’autoriser de la sociologie des religions. Il met en oeuvre un présupposé idéologique qui à aucun moment n’est discuté ni même explicité: celui selon lequel les religions doivent avoir la maîtrise du terrain spirituel. L’auteur en vient à affirmer que la laïcité ne peut fonctionner quand les religions traditionnelles perdent cette maîtrise. Le développement des sectes serait selon elle l’expression et la conséquence de l’assignation des grandes religions traditionnelles à la sphère privée. Pour faire face aux dérives ainsi soulignées, il faudrait revenir sur la laïcité, et notamment la loi de séparation, qui stipule que la République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. Bref, une théorie du religieusement correct, articulée à une conception discriminatoire excluant les athées et les agnostiques du champ de la spiritualité instrumentalise le danger des sectes pour réclamer la restauration d’un statut de droit public pour les religions traditionnelles, avec ce que cela suppose d’avantages dont seraient privés les tenants des autres options spirituelles que celles qui sont liées à la religion. 

Pour étayer cette revendication de privilèges publics, Danièle Hervieu-Léger invente la curieuse notion de " dette civilisationnelle " (p. 192) au nom de laquelle elle considère que les grandes religions traditionnelles de l’Occident ne peuvent être mises sur le même plan, par exemple, que le boudhisme, qui, écrit-elle, " ne constitue pas une composante déterminante de notre culture " (p. 193). Cette assignation à résidence peut apparaître comme une double discrimination: de certaines religions par rapport à d’autres, et du religieux en général par rapport aux autres figures de la spiritualité, qu’elles mettent en jeu l’athéisme ou l’agnosticisme. On comprend dès lors que le refus de l’universalisme laïque puisse avoir ici pour corollaire la valorisation d’une tradition particulière que l’on demande au législateur de privilégier. Quant à la question des sectes elle semble réduite à celle des " nouvelles religions abstraction faite de ce qui caractérise en réalité les sectes, àsavoir leurs pratiques et non leurs invocations du religieux, qui sert bien souvent de couverture. Quant à la laïcité, l’auteur s’attache à ne voir en elle qu’une singularité " française ", selon une approche relativiste qu’elle n’applique guère aux religions traditionnelles. Aveugle à l’idéal qui la fonde, elle ne semble la considérer que comme un dispositif réactif qui ne vaudrait que par son opposition supposée au catholicisme. Étrange lecture, qui ne laisse guère ses chances à l’idéal laïque, en fin de compte méconnu ou conçu de façon très réductrice. "

Extraits tirés de Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ? Gallimard, Folio 09/2003
 

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