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Forum Le Monde - Le Mans 2002 : Religion et politique, une liaison dangereuse ? 

Notes personnelles, sur la première journée,
complétées par les 3 dossiers et documents du Monde : 
DDM 285 : " 2000 ans de christianisme " (la distinction cultuel-culturel)
DDM 312 : Dieu de retour, pour le meilleur et pour le pire 
DDM 308 : Laïcité, une passion française 

- Le retour du religieux (en fait, plutôt le Christianisme face à la modernité) -(seul évoqué dans ce compte-rendu) 
2 autres journées : 
- Le réveil des intégrismes (conférences d’Odon Vallet, d’Esther Benbassa, d’Olivier Roy…) 
- L’avenir de la laïcité (Modèles américains, Le monde commun) 

La religion et le fait religieux, c’est le sujet obligé de la rentrée 2002 : " religion et géographie ", " géopolitique des religions ", "enseigner le fait religieux ", " Europe et Islam, Islams d’Europe " … 
  

Que signifie l’expression "retour du religieux " ? 

Parler de retour du religieux, ce n’est pas constater des conversions massives. 

- Mais de retour en légitimité des questions sur le sacré, sur la foi, sur les croyances dans un monde où les idéologies politiques qui prévoyaient la fin de la religion se sont effondrées. 

- C’est constater le retour du religieux dans sa prétention à dicter ses normes à la société. C’est le cas des intégrismes, dans toutes les religions. 

- C’est voir l’Etat continuer de prendre l’Eglise catholique (et les " chefs " des autres religions) comme interlocuteurs essentiels dans des questions de morale et d’éthique. 

Le désenchantement du monde : 

Ce retour surprend, en France, après des générations de conflit entre catholiques et républicains, et après un siècle de séparation de l’église et de l’Etat. 

En Europe, la marche vers la sécularisation a duré plus de 3 siècles, et jusqu’en 1962, l’Eglise a combattu la modernité, aussi bien politique que scientifique (par exemple, 1885 Mgr Freppel tient les droits de l’homme pour impies et contraires à la religion H Pena-Ruiz, DDM 308 ; Pie XII parle en novembre 1944 seulement du triomphe des formes démocratiques de gouvernement). 

Ralliement à la République en 1890, mais refus de la participation à la vie politique en Italie jusqu’en 1913. 
Critique du capitalisme, discours sur la question ouvrière 1891. 
Mais méfiance à l’égard de la démocratie chrétienne. 

En France, en 1905, la laïcité regroupe 2 réalités : (DDM 308) 

- l’affirmation de la liberté de conscience 

- la séparation entre Eglises et Etat. " Elle garantit l’émancipation de la sphère politique " 
Elle n’évite pas les excès de l’anticléricalisme 

De fait, D Hervieu-Léger constate la situation paradoxale du christianisme : 

- La pratique religieuse s’est effondrée, les vocations se sont taries, obligeant l’Eglise à redécouper son territoire pastoral (cf les travaux de Colette Muller et de JR Bertrand sur ce point), et les laics à assurer une partie des cérémonies.  
- Les partis politiques incarnant la démocratie chrétienne sont désertés par leur électorat en France ou en Italie (situation différente de l’Allemagne). 

Incompréhension de l’Eglise face à ces mutations : ses dirigeants les plus actifs cherchent de nouvelles voies pour rattraper les croyants (les nouvelles technologies ?), ou pour en convertir de nouveaux. En fait, ils ne voient pas que c’est leur légitimité, celle des institutions religieuses qui est en cause. 

" Une génération élevée sans contact avec les institutions religieuses ", D Hervieu-Léger, DDM 285 
Le catéchisme ne consiste plus à enseigner en credo des vérités énoncées par l’Eglise, mais à faire découvrir la foi à travers une expérience personnelle. (chiffre, au mieux, 35 % des 8-12 ans sont catéchisés). 
DHL parle de " dérégulation de la transmission religieuse ", et d’indifférence des jeunes par rapport à une institution qu’ils ignorent. 

Cette contestation des institutions n’est pas spécifique à l’Eglise. Voir par exemple la situation des partis politiques, celle des syndicats ouvriers, celle de la famille, de l’école … 

Par contre, pour la sociologue, le " discours normatif rigide " du pape n’aurait pas d’effet : il n’est simplement pas entendu, pas plus que les discours qui critiquent ces positions. 
  
Vers un ré-enchantement du monde ? 

En ce qui concerne les croyances, " on imaginait que dans un monde désenchanté par la science, la religion perdrait du terrain. Mais depuis 30 ans, le tableau de la sécularisation a été passablement changé … Loin de signifier l'épuisement des croyances, l'ultra modernité en a engendré la prolifération " 

Dans une société de plus en plus marquée par l’individualisme, " le croire échappe aux codes de sens présentés par les institutions ". Chaque personne détermine seule son rapport au sacré, mais a encore besoin des autres, de la société pour valider ses choix individuels. 
  
L'avenir de la laïcité (Modèles américains, Le monde commun) 
d’après Ouest-France, Le Mans (28/10/2002), 
  
Denis Lacorne, directeur de recherche au CERI a analysé l'instrumentalisation du religieux dans la politique
américaine. " C'est vrai que le patriotisme américain est très fort. Mais il n'est pas religieux. Il se fait autour d'emblèmes comme le drapeau. Même God bless America, devenu l'hymne patriotique américain, n'est pas aussi religieux qu'il y paraît.
C'est en réalité un air d'opérette écrit pour les Folies bergères, au début du siècle dernier. " Le chercheur a ensuite détaillé le rapport à la religion de George Bush junior. " La religion n'est pas aussi centrale qu'on le pense dans la politique américaine.
Bush est moins religieux qu'on ne le croit. Ses choix sont politiques et idéologiques ". 

Pour le philosophe, Henri Pena-Ruiz, " Il y a des principes, à mon sens, qu'il ne faut pas relativiser. " Il n'aura pas à chercher loin l'exemple de tolérance et de liberté que la laïcité implique, selon lui. " Il y a sans doute parmi vous des athées, des croyants et des agnostiques. Nous formons tous un monde commun. Si nous sommes là, ensemble, c'est que nous sommes capables de ne pas nous enfermer dans nos différences. " 

Voir aussi Marcel Gauchet, " des frontières qui bougent ", une laîcité comme apprentissage du pluralisme (DDM 308), et " les églises favorables à une laïcité ouverte… " 

Quelle place faire à l’universel ? aux particularismes des communautés ? 
Cf Le Monde, 28/10/2002 : Passer les épreuves du bac voilée, oui, mais pas avec son mari 
Une candidate au baccalauréat de confession musulmane peut-elle invoquer sa religion 
pour demander à être interrogée par une femme ? 
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226--295968-,00.html 

Voir aussi les comptes d’Odon Vallet, sur les 40 milliards versés par l’Etat aux catholiques en 1996, 12% de l’impôt sur le revenu (DDM 285) 

qq éléments entendus lors de la première journée, pour prolonger le débat : 

- Comment une religion, qui par principe prétend détenir seule la Vérité, peut-elle penser les autres religions ? 
    cf l'histoire de la tolérance en Europe, l’œcuménisme chrétien après Vatican II, la repentance à l’égard des Juifs... 

D’où des critères possibles, pour étudier une religion 
    - quelle place est faite à l’autre, au croyant des autres religions, au non-croyant, à l’athée ? 
Tolérance ou rejet ? 
    - quelle place est faite à la femme ? La rendre responsable du mal comme Eve et le péché originel ? 
    - quelle prise en compte de la mort, à la fois dans une conception de l’existence, et dans l’organisation d’un rituel social. 
        (cf dans le cas français, le maintien d’un cérémonial à l’église, y compris pour des personnes qui ont cessé de pratiquer.) 
    - en quoi les préceptes de la religion pèsent-ils sur la vie quotidienne (alimentation, vêtement…) ? 

- Le bon Samaritain
Lors du Forum, une référence utilisée à plusieurs reprises, visiblement partagée par un public plutôt âgé et catéchisé dans son enfance. 
Un doute, dans la salle : la parabole, une compassion pour " la victime " ? ou plutôt un moyen d’exalter l’humanité du marchand et de critiquer l’indifférence des clercs ? 

- A quoi pense un athée dans l’ascenseur ? 
Provocation de Gianni Vattimo, que l’angélus occupe pendant ses déplacements… 

- Femmes et religion : L’absence de femme prêtre serait signe de " l’obtusité " de la hiérarchie catholique. 
Mais un intervenant a  rappelé qu'au temps de Jésus, il n'y avait pas de femme avocat ou médecin non plus. 
- d'où la question du fondamentalisme : pourquoi imposer aujourd'hui des règles liées à un autre temps et une autre société ? 

Actes 2001, Histoire et mémoire publiés depuis 2 semaines chez Complexe. 
Actes 2002, à paraître en octobre 2003 chez le même éditeur. 

DL - 02/11/2002