Sarkozy
et Berlusconi : le sarkoberlusconisme
Pierre Musso
(Rennes 2) a publié Le sarko-berlusconisme (L'Aube) en avril
2008.
Sur le web,
3 entretiens permettent de
se faire une première idée du livre (à
lire de
toute urgence )
- une interview par
Olivier Bailly pour Agoravox
(11 juin 2008)
- un entretien pour L'Humanité
(12 juillet 2008)
- la participation
à un
forum du Nouvel Obs (avril 2008)
Dans
sa conférence, jeudi
soir, à Caen pour l'association
Démosthène,
il
a traité " Le
politique et la néo-télévision : les
exemples de Sarkozy
et Berlusconi",
tout
en refusant de résumer
le SB à une exploitation habile du pouvoir de la TV
:
il
rappelle que propriétaire
de 3 chaînes de TV, Berlusconisme a gagné 3 fois
et perdu
2 fois le pouvoir...
Pour
lui, l'essentiel, c'est le
travail [innovant] sur la politique,
une
politique qui n'est pas seulement
conquête et exercice du pouvoir ou combat
idéologique
mais
surtout lutte pour le contrôle
de l'imaginaire social et du symbolique.
NS et SB
incarnent un vrai projet politique,
celui « d'une contre-révolution
libérale combinant
tradition catholique romaine, américanisme, co-management et
néo-télévision
commerciale " menée par " une droite
décomplexée,
ouvertement néo-libérale en économie,
conservatrice
voire autoritaire sur le plan politico-moral ».
Comme le
thatchérisme dont il a tiré
les leçons, le SB est une entreprise de
démolition de
l'Etat-Providence, et son remplacement par un "
Etat-pénitence"(en
utilisant la privatisation des services publics et la
dérégulation
pour tenter de ramener l'Etat à son noyau
régalien).
"
Au-delà de leurs convergences
politiques, Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi présentent
des
points communs qui permettent de parler de «
sarkoberlusconisme ».
Il s’agit
d’un césarisme
néo-libéral de type latin
qui conserve l’ordre établi
« en réenchantant »
le politique. Avec un gouvernement exercé par les
rêves et
les fictions, le sarkoberlusconisme fonctionne par la combinaison
d’une
symbolique managériale issue de
l’entreprise et de sa
théâtralisation
hollywoodienne".
http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2008-1-p-129.htm
Le
culte de l'entreprise et le co-management
(communication + management).
"Bonjour,
l´idée
qu´il faut gouverner un pays comme une entreprise est-elle
toujours
d´actualité, en Italie et en France ?
Réponse
: Bonjour Oui, c’est
une idée majeure du néo-libéralisme
pour répondre
à la crise de légitimité de
l’Etat et des service
publics (qualifiés
d’inefficaces, voire de
"bureaucratisés").
Le modèle de l’entreprise et
du management est même appliqué
au gouvernement jugé selon les critères objectifs
/ moyens
/ résultats... L´Entreprise est aussi productrice
de discours,
de valeurs (dont l’efficacité
et l’efficience) qui
s’imposent dans
toute la société, y compris aux
individus.
C’est
ce que P Legendre appelle
le dogme du management"".
Berlusconi
est un patron qui a fait
fortune dans l’immobilier et la
communication (Mediaset, Mondadori).
L’homme
le plus riche du pays vend du rêve, de la success story. Le
«
condottiere » reçoit les chefs
d’Etat dans sa villa
personnelle…
il se voit comme le PDG de l’Italie
Il
a créé Forza Italia,
un parti de masse lancé en quelques semaines à
partir de
Publitalia, sa régie de pub ; la campagne
électorale a été
organisée par une équipe de
spécialistes du marketing.
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Le produit (politique) à
vendre (L’Italie
rêvée) est promu avec le langage et les codes
de la pub (« président entrepreneur »,
« travailler
plus… »
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Le culte du travail, valeur
cardinale du SB permet de déporter la citoyenneté
dans la
sphère de l’entreprise et
sert à inverser les valeurs de
la gauche (qui parle "emploi" et 35 h plus que de "travail")
Le SB et la néo-TV :
"On
a reproché à
Berlusconi tout comme à Sarkozy
d’avoir manipulé les
médias
au point d’affirmer que ces deux hommes
n’auraient jamais pu être
élus sans la télévision et la presse.
Vous réfutez
cette thèse. Pourquoi ?
Parce
que cette thèse est
simpliste : elle consiste à réduire les
médias à
des outils de manipulation de l’opinion
(elle-même considérée
comme « passive » !) et à
réduire la politique
à la maîtrise ou à la
propriété des médias.
Toutes les recherches depuis un demi-siècle montrent que
l’influence
des médias n’est jamais
directe et linéaire (du type action/réaction),
mais qu’ils sont un
élément important parmi
d’autres (les
appartenances sociales et professionnelles notamment) contribuant aux
choix
électoraux.
Un
seul exemple : Berlusconi avec
le même empire médiatique, a gagné
trois fois les élections
législatives et les a perdues deux fois. Or, si la
thèse
était exacte, il n’aurait
jamais pu perdre le pouvoir, et tous les
dirigeants politiques de la planète seraient
propriétaires
des grands médias, etc."
Le
SB emprunte à la
néo-télévision
ses valeurs et ses techniques de théâtralisation
et de mise
en spectacle :
Dans
la TV gaullienne, tout ce qui
touchait à l’info
était sous contrôle, le pouvoir livrant
un message ; le reste (culture,
divertissement…) lui
échappait.
Dans
la néo-TV, tout est
flux continu ; la
télé-réalité fait
profession
de mélanger fiction et réalité, de
pouvoir tout théâtraliser,
tout passer à l’aune du
divertissement.
La
néo-TV fait davantage
appel à l’émotion
qu’à la raison. Elle a
inventé
des techniques pour capter en permanence
l’attention du
téléspectateur-consommateur.
La TV est devenu un objet familier, incontournable (plus de 3 h par
jour
en moyenne).
La
TV paillettes de SB a saisi
l’intérêt
d’utiliser le rêve, de flatter
le désir
chez les téléspectateurs, sur le
modèle de la pub
et de la consommation. Sans oublier
d’exploiter les
peurs…
Le
SB en a compris l’importance
de la maîtrise de l’agenda.
NS
et SB ont appris à orchestrer
la vie publique comme un animateur de TV mène un talk-show,
à
choisir les sujets à mettre en spectacle, pour
être toujours
au centre de la communication politique.
Il
leur faut être en permanence
à l’écran, soit en
créant
l’événement
à médiatiser, soit en se montrant en train de
réagir
immédiatement à un fait
divers… « Le popularisme est
en mouvement perpétuel : il saute
d’un problème à
l’autre, agite des
nouveautés…son seul obejctif
: gagner le pouvoir
et le conserver ».
Il
faut chaque jour inventer une
nouvelle histoire (le storytelling de Salmon, les 125 photos
«
une storia italiana » distribuée aux Italiens en
2001).
Le
SB invente des clivages fictifs,
de pseudo-adversaires (« mai 68 » en F, les
« communistes
» en Italie).
Il
importe en politique la peopolisation
en mettant l’accent sur la personne
plutôt que sur son action, en
brouillant les frontières entre vie privée et vie
publique.
L'éthique
catholique et l'esprit
du capitalisme (latin)
" Quel est le talon
d’Achille
du sarkoberlusconisme et est-il vulnérable ? On a
l’impression que
l’un comme
l’autre sont inattaquables,
qu’ils ont toujours raisons et que
leurs gaffes même, voire leurs erreurs tournent toujours
à
leur avantage.
La
principale faiblesse du sarkoberlusconisme
est l’étalage de
l’argent et de la jouissance du pouvoir
contraire
à la morale catholique et au discours sur la moralisation du
capitalisme.
Pour ma part, c’est ainsi que
j’explique
l’effondrement de Sarkozy dans
les sondages en début
d’année ; il y a eu une
contradiction
majeure entre son discours sur le travail et la rigueur, et
l’étalage
du luxe, de l’argent facile et la
starisation du pouvoir".
Le
SB "réenchante le politique
et opère une révolution libérale
complète grâce
à une hégémonie renouvelée,
par la communion
de l'économique et du symbolique....Berlusconi souligne ses
valeurs
libérales, catholiques et managériales :
«
Nous croyons dans l’individu,
la famille, la compétition, le marché libre et la
solidarité,
fille de la justice et de la liberté ».
"Le
politique est réduit
à l'administration des choses" et soumis à la
transcendance.
« La religion s’occupe de
l’essentiel » ;
"Berlusconi-l'entrepreneur
se compare fréquemment à St Sébastien
voire à
Jésus".
page
140 : "cette étrange
combinaison entre catholicisme et néo-management fut
théorisée
dans un livre intitulé "Jésus
manager"
de Bob Briner, un actif militant chrétien dans l'industrie
de la
TV. L'auteur y affirme que l'entreprise peut être conduite
selon
les enseignements de JC : Le plus grand entrepreneur de tous les temps
a été JC. Il suffit de regarder ce qu'il a
réalisé".
Le SB attaque de front les valeurs
laïques et républicaines :
«Dans la
transmission des valeurs et
dans l’apprentissage de la
différence entre le bien et le mal,
l’instituteur
ne pourra jamais remplacer le
pasteur ou le curé
parce
qu’il lui manquera toujours la
radicalité
du sacrifice de sa vie
et le charisme
d’un engagement porté
par l’espérance»
- N Sarkozy - Rome 20 décembre
2007
Dans
2 pays latins et catholiques,
où les PC ont acquis un temps une force très
importante
comment
concilier étalage
du luxe et de l’argent facile et appel
à l’effort
? amis
milliardaires et exigence de "sacrifices" ?
"
Le Centaure sarkoberlusconien,
figure symbolique étrange, à la fois
�anti� et
“néoâ€�
politique, prétend même renouveler
“l’esprit
du capitalisme�
en vendant un capitalisme "moralisé" (Sarkozy) ou
"spiritualisé"(Berlusconi)".
Pierre Musso
rappelle que le césarisme
sarkoberlusconien combine
innovation
(marketing, néo-TV) et recettes
politiques classiques :
-
parti de masse (conquête
de l'UMP par NS,
-
alliance entre les droites et
l'extrême droite (ou pillage des idées et des
électeurs
du FN),
-
personnalisation du pouvoir...
Quant
aux hommes, "L’un vient
du politique, l’autre fait le chemin
inverse.
D’un
côté, l’homme
le plus riche du pays fait rêver ses concitoyens en leur
promettant
le partage de sa réussite sociale, de
l’autre, Sarkozy, un politique
professionnel qui a vingt ans de moins, « un Berlusconi sans
les
milliards », promet la
sécurité aux plus faibles
et la compassion aux victimes.
L’un
sourit, chantonne et amuse,
l’autre est sérieux, voire
hargneux, et inquiète.
»
PM
cite les 2 corps du roi (Kantorowicz)
: la mise en scène du jogger, du corps en
mobilité permanente,
pouvait suggérer la volonté de rupture (la
contre-révolution,
la rupture avec les chefs d'Etat précédents. Ces
derniers
temps, la TV montre davantage le manteau noir....
"Le
parti républicain
est le parti de la richesse organisée et de la
grande production
capitaliste :
c'est
instinctivement que celle-ci
s'appuie sur lui, et lui sur elle...
Par
là, le parti représente
à la fois la prospérité et la
conservation sociale"
écrivait
André
Siegfried en 1927 à propos des USA.
Face
au SB, l'opposition de gauche
peut compter sur l'usure du pouvoir, comme avec Thatcher et
Bush,
Cela
ne dispensera pas du travail
long et indispensable pour élaborer
une nouvelle symbolique...
Le
livre s'achève par
une citation de Tocqueville p 147 :
"On
croit que les sociétés
nouvelles vont chaque jour changer de face, et moi
j’ai peur
qu’elles ne
finissent par être invariablement fixées dans les
mêmes
institutions, les mêmes préjugés, les
mêmes
mœurs…
de telle sorte que l’homme
s’épuise en petits mouvements
solitaires
et stériles, et que tout en remuant sans cesse,
l’humanité
n’avance plus ». p 147
Autres
ouvrages de Pierre Musso
: http://www.acrimed.org/auteur103.html
DL 11-2008
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