Théophile Maupas (
1874-1915)


 
Blanche
 
Le Chefresne
Voeux 1915
Lettre 16 mars
défense
Le Canard

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Lettre du mardi 16 mars 1915

« Me voilà encore une fois ayant plutôt l’air d’un mort que d’un vivant. Mon cœur déborde, tu sais ; je ne me sens pas la force de réagit; c’est inutile, c'est impossible.

J’ai pourtant reçu hier les deux boîtes que tu m’as envoyées, contenant sardines, beurre, réglisse, figues, pommes et mon beau petit sac et les belles canes. J’étais bien heureux, mais je me suis tourné vers la muraille et de grosses gouttes, grosses comme mon amour pour les miens ont roulé abondantes et bien amères. Dans ces moments où je songe à tout ce qui se passe d’horrible et d’injuste autour de moi sans avoir une ombre d’espoir Eh bien, tu sais, je suis complètement déprimé. Je n ai plus la force ni de vouloir ni d’espérer quoi que ce soit. Je ne vais pas continuer; ma pauvre Blanche, je ne vais pas continuer je te ferai de la peine, trop de peine etje pleurerais encore.

Aujourd’hui je vais savoir le résultat de l’affaire. Comme c’est triste, comme c’est pénible ; mais je n’ai rien à me reprocher ; je n’ai ni volé ni tué ; je n’ai sali ni l’honneur ni la réputation de personne. Je puis marcher la tête haute. Ne t’en tracasse pas, ma petite Blanche. Il y a bien assez de moi à songer à ces tristes choses; c’est pénible, attendu qu’à mon âge, ni dans la vie civile ni dans la vie militaire je n ‘avais dérogé à mon devoir.
Pour quiconque n’a pas d’amour propre, ce n’est rien, absolument rien, moins que rien. Moi qui ai du caractère, qui m’abats, me fais du mauvais sang pour un rien, eh bien, tu sais, ma bonne petite, j’en ai gros sur le cœur. Il me semblait pourtant que depuis mon enfance, j’avais eu assez de malheur pour espérer quelques bons jours. C’est ça la vie ! Oh alors, ce n’est pas grand chose ! Que de gens comme moi qui ont un foyer et qui ne sont plus ! des petits enfants qui appelleront souvent leur papa, une femme adorée qui se rappellera son mari dévoué ; c’est bien triste quand je songe à ces noires choses.

Allons, courage ! courage mon petit bonhomme, soutenons-nous, aimons-nous !

J’embrasse ton beau petit sac, ta bonne lettre, ta carte, tes cheveux; tout est là dans un petit coin de mon sac. Je l’ouvre souvent ce vieux sac pour y voir mes objets chers qui sont une partie de toi et de mon petit Jean. Pauvre petite!

Allons, courage, mon petit soldat ! Je me serre bien dur contre toi, ne me quitte pas et veille bien sur moi.
Embrasse bien fort ma Jeannette. Que je t’aime, mon Dieu et que je pleure ».

Jacqueline Laisné, Pour l’honneur de Théo et des caporaux de Souain fusillés le 17 mars 1915,  édition Isoète p 80-81



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Brouillon en vue de la défense


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1962 : «Blanche Maupas n’est plus.....

Depuis sa retraite en 1938, Blanche Maupas réside à Avranches, non loin de Sartilly et de Chanteloup, village de son enfance où elle va se ressourcer chez ses amies de toujours.
Le 24 septembre 1962, Blanche Maupas décède à Avranches.

Voici dans le style particulier qui lui est propre et qui n’aurait pas déplu à celle qui bouscula bien des préjugés et conventions, des extraits de son éloge funèbre dans « Le Canard Enchaîné» édition du 17 octobre 1962 :

« Blanche Maupas n’aura rien été qu’une veuve, mais quelle veuve ! Celle de l’instituteur Maupas, son mari, et presque aussi (moralement s’entend) celle des trois autres caporaux suppliciés en même temps que celui-ci à Souain, en Champagne  en mars 1915.

Imaginez cela, mes louloutes. En pleine guerre, une veuve de trente ans, que tout accable. Son mari fusillé. Une mort infamante, disent la loi et les sots. Etre institutrice dans un village, c’est y être quelqu’un. Quelqu’un autour de qui, soudain, s’organise la conjuration des couardises, des mépris et des haines.

Les autres veuves de guerre sont entourées, consolées, chouchoutées. Autour de celle-ci, c ‘est le vide hostile, et le lourd silence de toutes les lâchetés. Le curé refuse de sonner le glas pour son paroissien mort. Les villageois détournent la tête. Et l’inspecteur d’académie s’amène, son pavé de l’ours sous le bras: “On peut vous déplacer..” Parce que, bien entendu, être la veuve d’un fusillé, c’est incarner le scandale.

Une autre femme se fût sans doute réfugiée dans l’obscurité, dans l’oubli. Quoi de plus justifié ? Qui songerait à demander aux 2 000 autres veuves de « fusillés pour l’exemple » raison de leur mutisme et de leur résignation ? Blanche Maupas était d’une trempe admirable. Elle s’insurgea farouchement. Toute seule d’abord, elle tint tête à l’immense puissance du mensonge patriotique et militaire.

Si nous savons aujourd’hui ce que recelait le dossier le plus secret, le plus sale, le plus consternant de la gloire militaire, c’est d’abord à la petite institutrice du Chefresne, à Mme Blanche Maupas, que nous le devons.
Il serait injuste, n ‘est-ce pas ? que la courageuse vieille dame s’en allât sans notre affectueux regret, vers un monde où, s’il est meilleur que le nôtre, le sieur Réveilhac doit passer un drôle de quart d’heure».

Valentine de Coincoin, Le Canard enchaîné, 17 octobre 1962, 
in Jacqueline Laisné,  page 183-184)

DL 2007