Théophile Maupas (1874-1915)
. . ![]() . « Me voilà encore une fois ayant plutôt l’air d’un mort que d’un vivant. Mon cœur déborde, tu sais ; je ne me sens pas la force de réagit; c’est inutile, c'est impossible. J’ai pourtant reçu hier les deux boîtes que tu m’as envoyées, contenant sardines, beurre, réglisse, figues, pommes et mon beau petit sac et les belles canes. J’étais bien heureux, mais je me suis tourné vers la muraille et de grosses gouttes, grosses comme mon amour pour les miens ont roulé abondantes et bien amères. Dans ces moments où je songe à tout ce qui se passe d’horrible et d’injuste autour de moi sans avoir une ombre d’espoir Eh bien, tu sais, je suis complètement déprimé. Je n ai plus la force ni de vouloir ni d’espérer quoi que ce soit. Je ne vais pas continuer; ma pauvre Blanche, je ne vais pas continuer je te ferai de la peine, trop de peine etje pleurerais encore. Aujourd’hui je vais savoir le
résultat
de l’affaire. Comme c’est triste, comme c’est
pénible ; mais je
n’ai rien à me reprocher ; je n’ai ni volé ni
tué
; je n’ai sali ni l’honneur ni la réputation de
personne. Je puis
marcher la tête haute. Ne t’en tracasse pas, ma petite
Blanche. Il
y a bien assez de moi à songer à ces tristes choses;
c’est
pénible, attendu qu’à mon âge, ni dans la vie
civile
ni dans la vie militaire je n ‘avais dérogé
à mon
devoir.
Allons, courage ! courage mon petit bonhomme, soutenons-nous, aimons-nous ! J’embrasse ton beau petit sac, ta bonne lettre, ta carte, tes cheveux; tout est là dans un petit coin de mon sac. Je l’ouvre souvent ce vieux sac pour y voir mes objets chers qui sont une partie de toi et de mon petit Jean. Pauvre petite! Allons, courage, mon petit soldat ! Je
me serre
bien dur contre toi, ne me quitte pas et veille bien sur moi.
Jacqueline Laisné, Pour l’honneur de Théo et des caporaux de Souain fusillés le 17 mars 1915, édition Isoète p 80-81 . Brouillon en vue de la défense
. 1962 : «Blanche Maupas n’est plus..... Depuis sa retraite en 1938, Blanche
Maupas
réside à Avranches, non loin de Sartilly et de
Chanteloup,
village de son enfance où elle va se ressourcer chez ses amies
de
toujours.
Voici dans le style particulier qui lui est propre et qui n’aurait pas déplu à celle qui bouscula bien des préjugés et conventions, des extraits de son éloge funèbre dans « Le Canard Enchaîné» édition du 17 octobre 1962 : « Blanche Maupas n’aura rien été qu’une veuve, mais quelle veuve ! Celle de l’instituteur Maupas, son mari, et presque aussi (moralement s’entend) celle des trois autres caporaux suppliciés en même temps que celui-ci à Souain, en Champagne en mars 1915. Imaginez cela, mes louloutes. En pleine guerre, une veuve de trente ans, que tout accable. Son mari fusillé. Une mort infamante, disent la loi et les sots. Etre institutrice dans un village, c’est y être quelqu’un. Quelqu’un autour de qui, soudain, s’organise la conjuration des couardises, des mépris et des haines. Les autres veuves de guerre sont entourées, consolées, chouchoutées. Autour de celle-ci, c ‘est le vide hostile, et le lourd silence de toutes les lâchetés. Le curé refuse de sonner le glas pour son paroissien mort. Les villageois détournent la tête. Et l’inspecteur d’académie s’amène, son pavé de l’ours sous le bras: “On peut vous déplacer..” Parce que, bien entendu, être la veuve d’un fusillé, c’est incarner le scandale. Une autre femme se fût sans doute réfugiée dans l’obscurité, dans l’oubli. Quoi de plus justifié ? Qui songerait à demander aux 2 000 autres veuves de « fusillés pour l’exemple » raison de leur mutisme et de leur résignation ? Blanche Maupas était d’une trempe admirable. Elle s’insurgea farouchement. Toute seule d’abord, elle tint tête à l’immense puissance du mensonge patriotique et militaire. Si nous savons aujourd’hui ce que
recelait le
dossier le plus secret, le plus sale, le plus consternant de la gloire
militaire, c’est d’abord à la petite institutrice du
Chefresne,
à Mme Blanche Maupas, que nous le devons.
Valentine de Coincoin, Le Canard
enchaîné,
17 octobre 1962,
DL 2007
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