Document 2 : Aristide Briand
à la Chambre
des députés
Le 3 juillet,
Aristide Briand,
le rapporteur de la loi, conclut les débats
(la Chambre votre l’affichage
de son discours).
La loi est votée par 341 députés
contre 233.
M le
rapporteur : Au début de la discussion générale,
je
disais à mes amis :
" Prenez
garde! Les éléments indispensables à la
constitution
d'une majorité, s'ils peuvent à la rigueur s'accorder sur
le principe, ne manqueront pas de différer profondément
sur
les modalités mêmes de la réforme. Si chacun de
vous
apporte la volonté systématique, arrêtée
d'avance,
de faire triompher ses vues particulières, ce n'est pas la peine
d'entreprendre une tâche aussi difficile ; elle ne peut
être
menée à bien qu'au prix de concessions
réciproques.
Le succès de la réforme ne peut être que le
résultat
de transactions multiples. "
Je
laissais même entendre que ces transactions devraient passer,
parfois,
les limites de la majorité elle-même. On m'a fait grief de
certaines concessions au centre et à la droite. Messieurs, si
j'avais
fait de cette réforme une question d'amour-propre personnel,
comme
on peut y être porté quand on s'exalte devant la grandeur
de sa tâche et qu'on se laisse entraîner au désir de
la marquer exclusivement de son empreinte : si je n'avais eu que cette
misérable préoccupation personnelle, c'était
l'irrémédiable
échec.
J'ai
compris autrement mon devoir ; j 'ai voulu réussir dans
l'accomplissement
de la tâche qui m'avait été confiée. Pour
cela,
sans perdre de vue un seul instant les principes essentiels de la
réforme
qui tous ont été respectés, je n'ai pas
reculé
devant les concessions nécessaires. J'en ai fait aussi, chaque
fois
que l'équité le commandait, à la minorité
elle-même,
et je m'en félicite, car nos collègues du centre et de la
droite, en nous permettant d'améliorer la loi, en accolant leurs
signatures aux nôtres sous des articles importants, nous auront
ainsi
aidés puissamment à la rendre plus facilement applicable
en réduisant au minimum les résistances qu'elle aurait pu
susciter dans le pays. A l'heure actuelle, quel est l'homme politique
qui
pourrait nier sincèrement que la réforme, ainsi faite,
soit
d'une application facile?
Si
ceux de nos collègues qui ont combattu le principe de la
séparation
et se sont efforcés loyalement, et pour des raisons
d'opportunité,
d'en ajourner le vote, veulent bien porter sur notre œuvre un
jugement
selon leur conscience, ils seront bien forcés de
reconnaître
que nous avons fait pour le mieux.
Maintenant,
Messieurs, permettez-moi de vous dire que la réalisation de
cette
réforme qui figure depuis trente quatre ans au premier plan du
programme
républicain…
M.
le marquis de Pins : Le pays préférerait d'autres
réformes
qu'on lui a promises et qu'on ne lui donne pas.
M.
le marquis de Lespinay : Les retraites ouvrières pressaient tout
de même davantage.
M.
le rapporteur. ... : aura pour effet désirable d'affranchir ce
pays
d'une véritable hantise, sous l'influence de laquelle il n'a que
trop négligé tant d'autres questions importantes, d'ordre
économique et social, dont le souci de sa grandeur et de sa
prospérité
aurait dû imposer déjà la solution.
(Applaudissements
à gauche et à l’extrême gauche.)
Ces
grands problèmes se poseront demain, dès qu'auront
disparu
des programmes politiques les questions irritantes qui, comme celle-ci,
passionnent les esprits jusqu'à la haine et gaspillent en
discordes
stériles les forces les plus vives et les enthousiasmes les plus
généreux de la nation.(Applaudissements à gauche.)
La
réforme que nous allons voter laissera le champ libre à
l'activité
républicaine pour la réalisation d'autres réformes
essentielles.
Mais,
pour qu'il en fût ainsi, il fallait que la séparation ne
donnât
pas le signal des luttes confessionnelles; il fallait que la loi se
montrât
respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la
faculté
de s'exprimer librement. Nous l'avons faite de telle sorte que
l'Église
ne puisse invoquer aucun prétexte pour s insurger contre le
nouvel
état de choses qui va se substituer au régime
concordataire.
Elle pourra s’en accommoder ; il ne met pas en péril son
existence.
Mais ici, il convient de s’entendre.
Si
la vie de l’Eglise dépend du maintien du Concordat, si
elle est
indissolublement liée au concours de l’Etat, c’est
que cette vie
est factice, artificielle, c’est qu’alors, en
réalité, l’Eglise
catholique est déjà morte.
(Réclamations
à droite - Applaudissements à gauche et à
l’extrême
gauche).
M de
Gailhard-Bancel : Elle est plus vivante que vous.
M le
rapporteur : Tant mieux pour elle
M Gayraud
: Elle n’a pas besoin de l’Etat ; elle n’a besoin que
de liberté.
M le
rapporteur : Alors, Monsieur Gayraud, je ne comprends pas les
interventions
de vos amis et je ne parviens pas à m’expliquer davantage
les paroles
que vous prononciez au début de cette discussion quand vous
disiez
: " Vous prétendez accorder la liberté à
l’Eglise
et vous lui enlevez le budget des cultes ! " Si l’Eglise ne peut
se passer
des subsides de l’Etat, c’est que, je le
répète, l’Eglise
est déjà morte.
M Gayraud
: Je n’ai jamais dit cela, Monsieur Briand
M le
rapporteur : Si ce n’est pas votre opinion, vous devez vous tenir
pour
satisfait de la loi que nous avons faite. En tout cas, vous
n’aurez plus
le droit demain d’aller dire aux paysans, aux catholiques de
France, que
la majorité républicaine de cette Chambre s’est
montrée
à votre égard tyrannique et persécutrice, car elle
vous aura généreusement accordé tout ce que
raisonnablement
pouvaient réclamer vos consciences : la justice et la
liberté.
(Vifs
applaudissements à gauche et à l’extrême
gauche)
Assemblée
nationale
- Transcription des débats (21 mars - 3 juillet 1905)
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/eglise-etat/sommaire.asp
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