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Shoah : les étapes de la mémoire en France, Annette Wieviorka, in Pascal blanchard et Isabelle Veyrat-Masson Les guerres de mémoires, La France et son histoire, La Découverte poche - 2008 -2010 Dans le cas des Juifs , le génocide (Lemkin) visait aussi à rayer un peuple du monde. C’est contre ce « mémocide » que ceux qui comprirent qu’ils étaient destinés à disparaître réagirent avec leurs propres armes, celles de l’écriture et de l’archive : archives Ringelblum dans le ghetto de Varsovie, Livres du souvenir après 1945 AW voit trois phases :
- Le procès Eichmann ouvre une seconde période, celle de la volonté de « garder mémoire » et de transmettre. C’est l’avènement de l’ère du témoin (111 témoignages au procès) dont le récit dépasse l’expérience individuelle et se charge de sens pour d’autres secteurs de la société. - Holocauste, le feuilleton à succès ouvre le temps de la transition. En 1980, Carter fait voter la loi qui crée un mémorial national à Washington. En France, le combat porte plutôt sur la responsabilité de Vichy et dans la lutte contre les négationnistes. Les Klarsfeld jouent un rôle décisif dans tous ces combats. En 1995, Chirac reconnaît la responsabilité de l’Etat dans le sort des juifs. Une Commission est chargée d’étudier les spoliations des biens juifs et d’indemniser les descendants. Cette évolution participe de l’américanisation de l’Holocauste, où la vision tragique est contrebalancée par une recherche de positivité (place donnée aux Justes) . Liste de Schindler, archivage des témoignages, microfilmage des archives. Une 4e phase serait une reconnaissance institutionnelle (journée du 27 janvier). La Shoah fait maintenant partie de l’imaginaire collectif. « Dans le même temps, l’utilité de cette mémoire est contestée de plus en plus bruyamment ». La mémoire du génocide est devenue une mémoire transnationale (le mémorial de Nankin a été conçu sur le modèle de Yad Vashem). Le génocide est devenu le paradigme de toutes les mémoires douloureuses.
Trois mémoires de la Shoah : Etats-Unis, Israël, France Maurice Kriegel (à propos du livre de Peter Novick, «
L’Holocauste
dans la vie américaine » ),
Pourquoi et comment la Shoah
s’est-elle installée à ce point dans l’imaginaire collectif
et le discours correct aux Etats-Unis ?
1945-1970 : Histoires parallèles Pendant la guerre elle-même, les juifs américains n’ont pas démérité. Ils ont cherché à peser sur leur gouvernement. Par la suite, ils ont soutenu la création d’un Etat juif en Palestine. Partout, pendant 25 ans, la priorité
du national a dicté sa loi. Les rescapés qui ont voulu
parler ont dû rapidement renoncer, faute d’auditeurs intéressés.
En France également, la réaffirmation
des valeurs républicaines permet aux juifs de réintégrer
a communauté nationale. Les discours gaulliste et communiste (tous
résistants) est impuissant à intégrer la spécificité
du malheur juif.
Au temps de la guerre froide,
les crimes staliniens sont la cible prioritaire. La crainte de raviver
un antisémitisme réel ou supposé explique aussi ce
régime de basse intensité, (le livre d’Annah Arendt, Eichmann
à Jérusalem est mal reçu par les organisations juives,
qui y voient le danger d’une récupération et d’un dédouanement
des nazis.)
La conjoncture du Never Again (1970-1990). 1967 (guerre des six jours) et 1973
(guerre du Kippour)marquent une rupture (crainte de l’Etatcide).
En même temps, aux Etats-Unis, la mémoire de la Shoah est instrumentalisée au service d’une politique de reconquête identitaire d’un judaïsme largement dévitalisé. Le retour du religieux, l’enseignement de l’hébreu ne suffisent pas. La Shoah, elle, « marche ». L'identification aux victimes de la Shoah sert à combattre l'assimilation. Le retour de l’antisémitisme est dénoncé inlassablement. En France, Darquier, les négationnistes, la nouvelle droite, les attentats impressionnent. Par contre aux Etats-Unis, l’antisémitisme a à peu près disparu, « ses rares manifestations se réduisant à des incidents misérables. Cela n’empêche pas le public juif américain de se persuader à partir de 1970 que le pays connaît une crue d’antisémitisme telle que « l’avenir redevient incertain ». « Que le discours anti-antisémite ait eu pour rôle de fournir une identité substitutive.. la chronologie le prouve suffisamment : ce discours prend de plus en plus d’ampleur dans les années 1980, après que la référence à Israël a cessé d’offrir un axe identitaire disponible. La religion de la Shoah a remplacé la religion d’Israël ». En 1979, le feuilleton Holocauste connaît un très grand succès, aux Etats-Unis et en Europe. En France, la vision gaulliste héroïque
de la 2 GM est de plus en plus contestée.
La performance américaine (années 1990) La Shoah est devenue aujourd’hui l’affaire de tous les Américains. A Washington, en 1193,le musée de l’Holocauste est au cœur de l’espace sacré de la démocratie américaine. La même année, La Liste de Schindler, le film de Steven Spielberg a un très grand retentissement. L’histoire de la Shoah est présente dans tous les programmes scolaires. Pour tous, « l’Holocauste est devenu l’horreur emblématique à l’aune de laquelle mesurer toutes les autres horreurs ». Le Never Again, au départ
ressource identitaire est devenu passion américaine en se transformant
en instrument de dénonciation du crime d’indifférence
face aux atteintes aux libertés. (cf la formule du pasteur Niemöller
: « je n’étais pas.. »
Cette mémoire a « engendré
une rhétorique vide ». L’appel « Plus jamais la Shoah
! » n’a pas plus de force que s’il était décliné
sous la forme « Plus jamais le massacre des Albigeois ». Le
génocide du Rwanda a suivi de peu l’inauguration du musée
de l’Holocauste.
En Israël, pour échapper à la version ultra-nationaliste de cette mémoire, Yehuda Elkana a proposé en 1988 « d’oublier la Shoah ». Si les politiques en appellent sans cesse au souvenir de la Shoah, c’est pour2 raisons : l’influence du discours américain importé, la Shoah a pris la place de l’anti-antisémitisme dans le discours de légitimation d’Israël. La France elle a reconnu sa division au temps de Vichy. Aujourd’hui (2001), les souverainistes dénoncent ce qu’ils voient comme une mode d’auto-flagellation ; les partisans de l’Europe espèrent l’émergence d’un sentiment européen fondé sur un patriotisme constitutionnel et une mémoire commune des crimes contre l’humanité. L’Amérique détient le secret de l’alchimie qui permet de fabriquer du national avec de l’universel. L’énumération des fautes collectives sert d’instrument à une affirmation de la mission américaine, celle du combat pour la démocratie.
Pour plus de précisions, se reporter en
bibliothèque à l’article du Débat,
La critique d'Eric Conan, Une
version américaine (L'Express 15/11/2001)
est en ligne.
Une mémoire saturée ? Anne Grynberg traite du livre de Peter Novick dans sa première partie. L'article est en ligne, en accès gratuit. (Les Cahiers de la Shoah 2002/1 - N° 6, p 123-142) extraits :
«… Au-delà du ton parfois
provocateur, il pose des questions fondamentales.
« Quant à la vocation de l’Holocauste comme « boussole morale » (p. 334), elle n’est pas sans poser problème. D’abord, comment concilier spécificité et universalisme ? Dans la mesure où on adhère à la thèse selon laquelle s’agirait d’un événement « exceptionnellement inexplicable » (p. 299), chacun l’adapte à sa propre grille d’interprétation et en tire ses leçons personnelles – évidemment différentes, voire contradictoires, selon qu’on est militant anti-avortement, chrétien intégriste ou attaché à la cause des organisations gay… Et il reste à s’interroger sur le rôle des films, des musées, des discours sur l’Holocauste en termes de vigilance citoyenne face à des crimes moins extrêmes que l’Holocauste qui, finalement, « ne sont pas si terribles » (p. 373). « Novick remet en cause, enfin, l’invocation de l’expression « Plus jamais ça ! », souvent employée pour justifier l’entretien de la mémoire de l’Holocauste, en rappelant qu’en cette deuxième moitié du XXe siècle, bien des atrocités ont été commises sans que le souvenir de la Shoah ait paru les limiter. Il souligne ainsi que la diplomatie américaine ne s’est guère préoccupée du génocide au Rwanda ni des massacres perpétrés dans l’ex-Yougoslavie. Même s’il reconnaît que des personnes privées et certains organismes peuvent de fait avoir été sensibilisés par la mémoire de l’Holocauste pour s’engager dans des causes humanitaires, il juge la formule « indécente » en ce qui concerne les gouvernants – qui, selon lui, pourraient et devraient commencer par secourir les millions d’enfants qui meurent de malnutrition à travers le monde. Sinon, étant donné la persistance de ce « crime d’indifférence », autant dire « Jamais plus le massacre des Albigeois ! » (pp. 340 sq) ». « On peut récuser
certaines analyses de Peter Novick… Nul ne peut nier toutefois qu’il s’agit
d’une réflexion sérieuse et argumentée sur l’évolution
de la mémoire de la Shoah aux États-Unis, qui pose de manière
souvent passionnante des questions fondamentales qui souvent dépassent
le cadre américain…. ».
Programme de Term ES-L, documents d'accompagnement « Ces mémoires sont multiples, chacune d’elles ne montrant qu’une vision partielle. S’il est impossible d’en tenter une typologie exhaustive, il est important que les élèves comprennent d’une part, que les souvenirs et la réinterprétation de ceux-ci par les mémoires individuelles ou collectives diffèrent selon les personnes ou les groupes et leur relation avec l’événement ; d’autre part, que des mémoires de groupe se construisent, évoluent et, éventuellement, entrent en concurrence ; enfin, qu’il est possible de faire l’histoire de ces phénomènes… ». « Dans l’après-guerre, la singularité du Génocide est peu reconnue : il est inclus dans la déportation, voire dans la somme des souffrances de l’Occupation. La figure de référence du déporté est celle du résistant et l’amalgame est fait entre tous les types de camps, dont Buchenwald ou Dachau, selon les sensibilités, constituent les exemples emblématiques. Les associations juives souhaitent d’abord affirmer leur appartenance à la communauté nationale, et leurs urgences vont à l’entraide et à la reconstruction. Au demeurant, les rescapés des centres d’extermination occupent une place modeste au sein de l’ensemble de ceux qui reviennent de déportation : 54 % du total des partants, mais 6 % des survivants ; leurs témoignages, nombreux dans les toutes premières années de l’après-guerre mais difficilement reçus par la société, se tarissent ensuite. Nuit et Brouillard (1956), d’Alain Resnais et Jean Cayrol, qui concerne le système concentrationnaire dans son ensemble et présente une vision univoque du camp et du déporté, apparaît révélateur de cette période d’une quinzaine d’années ». « La décennie 1960 marque un tournant et une redécouverte, du fait du procès Eichmann (1961), qui ouvre l’ère du témoin porteur d’histoire, puis de la guerre des Six Jours. Celle-ci constitue une étape majeure à cause de l’angoisse qu’elle suscite pour le jeune Etat d’Israël ; elle est d’autant plus vécue comme une seconde menace décisive contre le judaïsme, que l’évaluation que fait de Gaulle de la situation choque. La mémoire du Génocide devient constitutive de l’identité juive et revendique sa place dans la société. « Une troisième époque s’amorce à partir de la fin des années 1970. Des raisons de natures différentes concourent à libérer la parole des survivants et à l’investir d’une grande responsabilité : le débat enclenché par la projection d’Holocauste (1978-1979), la lutte contre l’entreprise négationniste, une série de procès, dont celui de Klaus Barbie (1987). Cette attente et cette libération de la parole se traduisent par un énorme travail documentaire et l’intervention de témoins dans les débats télévisuels et auprès des jeunes dans les établissements scolaires ». « De ce fait et grâce aux avancées historiographiques, la mémoire collective des années 1940-1944 évolue : la responsabilité de l’Etat français dans la persécution est réévaluée, ce que marque chaque année à partir de 1993 une journée commémorative. Se met peu à peu en œuvre un impératif social, qui tend à devenir un devoir civique : la mémoire de l’extermination est appelée à nourrir l’engagement pour le présent ».
voir également Mémoires de la Shoah : Annette Wieviorka (juin 2006) Mémoires
et Histoire, choix de sites web dont
DL-2010 - http://clioweb.free.fr |
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