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Contre l'article 4 de la loi du 23 février 2005, 
pétitions, textes de principe, débats


- Pétition des 1001 (mars - mai 2005)

- Motion de l'APHG (22 mai 2005)

- La responsabilité des historiens face à l'histoire coloniale (C Liauzu, R Branche, S Thénault, G Meynier)

- Nous n’appliquerons pas l’article 4 (novembre 2005)

- Abrogeons l'article 4

- Pétition des Clionautes

- Comité de Vigilance sur les usages publics de l'histoire (CVUH)

- Liberté pour l'histoire (19 historiens)

- Ne mélangeons pas tout (32 signataires)

- Contre l’article 3 ! (Fondation pour la mémoire) par Sylvie Thénault

- Urgence : Abrogation de l'article 4 (janvier 2006)

- Pléthore de mémoire (version belge, 25/01/2006)
 

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C Vanneste (l'auteur de l'article 4)  justifie la colonisation devant le Club de l’Horloge (Le Monde 26/11/05)
Genèse d'un amendement contesté LM 13/12/2005

Musées et Mémoriaux

Mission JL Debré  - Mission Arno Klarsfeld pour l'UMP




Débats et rencontres en cours : 

Les lois de mémoire - Contestations, justifications - Arguments pour un débat de fond
Ulm 21/01/2006

débats 23/02/2006

CVUH - Paris  - 4 mars 2006

DL 01/2006

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Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle 
(25 mars 2005) 

La loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » a des implications sur l’exercice de notre métier et engage les aspects pédagogiques, scientifiques et civiques de notre discipline.

Son article 4 dispose :
    « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite.

    Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ...  »

Il faut abroger d’urgence cette loi,
    -  parce qu’elle impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au cœur de la laïcité,
    -  parce que, en ne retenant que le « rôle positif » de la colonisation, elle impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé,
    -  parce qu’elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé.

Les historiens ont une responsabilité particulière pour promouvoir des recherches et un enseignement
    -  qui confèrent à la colonisation et à l’immigration, à la pluralité qui en résulte, toute leur place,
    -  qui, par un travail en commun, par une confrontation entre les historiens des sociétés impliquées rendent compte de la complexité de ces phénomènes,
    -  qui, enfin, s’assignent pour tâche l’explication des processus tendant vers un monde à la fois de plus en plus unifié et divisé.

Claude Liauzu, professeur émérite à l’université Denis Diderot-Paris 7 ;
Gilbert Meynier, professeur émérite à l’université de Nancy ;
Gérard Noiriel, directeur d’études à l’EHESS ;
Frédéric Régent, professeur à l’université des Antilles et de Guyane ;
Trinh Van Thao, professeur à l’université d’Aix-en-Provence ;
Lucette Valensi, directrice d’études à l’EHESS.


Il appartient aux historiens d'écrire l'histoire 
et aux enseignants de l'enseigner

Le Comité national de l’APHG, réuni à Paris, le 22 mai 2005, 
-  dénonce la dérive actuelle conduisant le Parlement à inscrire dans la loi des dispositions relatives aux
contenus précis d’enseignement qui relèvent de textes réglementaires (décrets, arrêtés, circulaires...), comme
vient de le rappeler le Conseil Constitutionnel à propos de plusieurs articles de la Loi d’orientation et de
programme pour l’avenir de l’école , 

-  demande en conséquence l’abrogation de l’article 4 de la Loi du 23 février 2005 portant
reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui stipule : « Les
programmes scolaires reconnaissent en particulier le caractère positif de la présence française
outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de
l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». 
 

Se fondant sur les déclarations de M. le Ministre délégué aux Anciens Combattants, commentant cette loi (1),
l’APHG : 
-  demande que soit mis fin aux pratiques qui consistent à instrumentaliser l’enseignement de l’histoire au service des « devoirs de mémoire », 

- rappelle que les contenus d’enseignement en histoire et en géographie doivent se fonder sur les acquis de la recherche scientifique, pour laquelle l’Université et le CNRS doivent être dotés de moyens suffisants, 

-  réaffirme que pour exercer, sur ces bases, la liberté pédagogique que leur reconnaît la loi, les professeurs doivent continuer à être recrutés à un haut niveau de compétence scientifique et bénéficier d’une formation continue universitaire de qualité. 

(1) « (...) Il est évident que les historiens et les enseignants travaillent et travailleront comme ils l’entendent. Ils ont toujours été libres en France, et on voit mal qui voudrait les contraindre. Prétendre imposer une pensée officielle aux historiens et diffuser une histoire homologuée en classe serait stupide et n’a jusqu’à présent été réalisé sur notre continent que par des régimes totalitaires. Ni le législateur ni le gouvernement n’en ont eu le projet, ni même l’idée. Il appartient aux historiens d’écrire l’histoire et aux enseignants de l’enseigner. (...) » (Hamlaoui Mékachéra, « Colonisation : réconcilier les mémoires », Le Monde, 8 mai 2005) 

Motion adoptée à l’unanimité par le Comité national de l’APHG, Paris, le 22 mai 2005
 



Nous n’appliquerons pas l’article 4 de la loi du 23 février 
stipulant que “ les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif ” de la colonisation

Les députés de la majorité ont refusé le 29 novembre d’abroger l’article 4 de la loi du 23 février stipulant que “ les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif ” de la colonisation. Ce qui avait été adopté par une assemblée quasi déserte, en catimini, vient d’être confirmé en toute connaissance de cause. La pétition des historiens contre la loi, publiée par Le Monde du 21 mars, a été à l’origine d’un mouvement de protestation représentatif de la majorité des enseignants et des chercheurs. La demande d’abrogation a été faite aussi par l’Association des professeurs d’histoire et géographie, par les syndicats d’enseignants, par les associations telles que la Ligue des droits de l’Homme et la Ligue de l’enseignement. La presse s’en est fait l’écho et a ouvert un débat depuis plusieurs mois. Le gouvernement, en particulier son ministre de l’Education nationale, qui affirme que les programmes demeurent inchangés, le Président de la République, qui parle de “ grosse connerie ”, mesurent la gravité de la situation ainsi créée, le gâchis qu’ils ont laissé devenir insoluble :

- Une loi qui impose une histoire officielle et nie la liberté des enseignants, le respect des élèves.
- Une loi amputant le passé des millions d’habitants de ce pays, nationaux ou étrangers, qui ne se reconnaissent pas dans cette déformation unilatérale de l’histoire.
- Une loi qui ne peut être appliquée, mais dont on ne peut obtenir l’abrogation.
- Une loi qui compromet le traité franco-algérien de paix et d’amitié en préparation, alors que des liens étroits et anciens associent les deux sociétés.

Cette loi permettra, à l’évidence, à des groupes de pression d’intervenir contre les manuels scolaires et les enseignants qu’ils jugeraient non conformes à l’article 4.

Cette loi, imposée par des groupes de pression nostalgiques du colonialisme et revanchards, nourris d’une culture d’extrême droite, est une loi de régression culturelle en ce début de XXI° siècle où toutes les sociétés doivent relever le défi de leur mondialisation, assumer leur pluralité, qui est une richesse .

Cette loi discrédite et ridiculise l’image de la société française à l’étranger, et le communautarisme chauvin qui l’inspire ne peut que favoriser des réactions de rejet. Présente dans le droit français, elle reste une menace pour l’avenir : si le gouvernement actuel promet d’en limiter la portée, qu’en sera-t-il de ses successeurs ? Universitaires, chercheurs, enseignants, nous n’appliquerons pas cette loi scélérate et continuons d’en demander l’abrogation de son article 4.

Nous demandons aux institutions universitaires, aux IUFM, aux associations professionnelles, aux syndicats d’enseignants, aux parents d’élèves d’organiser un vaste mouvement de protestation.

A l’initiative d’historiens, enseignants et chercheurs, cette pétition est ouverte également à la signature de tous les citoyens et      associations qui la soutiennent.

   LES SIGNATURES INDIVIDUELLES SONT À ENVOYER À :
   contre_loi_fev05@yahoo.fr 
 [Merci de préciser : prénom, nom, fonction, ville]



Liberté pour l'histoire

Une pétition pour l'abrogation des articles de loi contraignant la recherche et l'enseignement de cette discipline.
Libération - Rebonds - mardi 13 décembre 2005
http://www.liberation.fr/page.php?Article=344464#

Emus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l'appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs, nous tenons à rappeler les principes suivants :

L'histoire n'est pas une religion. L'historien n'accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant.

L'histoire n'est pas la morale. L'historien n'a pas pour rôle d'exalter ou de condamner, il explique.

L'histoire n'est pas l'esclave de l'actualité. L'historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n'introduit pas dans les événements d'autrefois la sensibilité d'aujourd'hui.

L'histoire n'est pas la mémoire. L'historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L'histoire tient compte de la mémoire, elle ne s'y réduit pas.

L'histoire n'est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n'appartient ni au Parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l'Etat, même animée des meilleures intentions, n'est pas la politique de l'histoire.

C'est en violation de ces principes que des articles de lois successives ­ notamment lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005 ­ ont restreint la liberté de l'historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu'il doit chercher et ce qu'il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites.

Nous demandons l'abrogation de ces dispositions législatives indignes d'un régime démocratique.

Jean-Pierre Azéma, Elisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker, Françoise Chandernagor, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf, Jean-Claude Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock

 http://www.liberation.fr/page.php?Article=344464
© Libération 



"Ne mélangeons pas tout"

NOUVELOBS.COM | 20.12.05 | 11:17
"Nous revendiquons pour tout un chacun une pleine et entière liberté de recherche et d’expression. Mais il paraît pernicieux de faire l’amalgame entre un article de loi éminemment discutable et trois autres lois de nature radicalement différente. La première fait d’une position politique le contenu légal des enseignements scolaires et il paraît souhaitable de l’abroger. Les secondes reconnaissent des faits attestés de génocide ou de crimes contre l’humanité afin de lutter contre le déni, et de préserver la dignité de victimes offensées par ce déni.

Ces trois lois ne restreignent en rien la liberté de recherche et d’expression. Quel historien a donc été empêché par la loi Gayssot de travailler sur la Shoah et d’en parler ? Déclarative, la loi du 29 janvier 2001 ne dit pas l’histoire. Elle prend acte d’un fait établi par les historiens – le Génocide des Arméniens – et s’oppose publiquement à un négationnisme d’Etat puissant, pervers et sophistiqué. Quant à la loi Taubira, elle se borne simplement à reconnaître que l’esclavage et la traite négrière constituent des crimes contre l'humanité que les programmes scolaires et universitaires devront traiter en conséquence.

Le législateur ne s’est pas immiscé sur le territoire de l’historien. Il s’y est adossé pour limiter les dénis afférents à ces sujets historiques très spécifiques, qui comportent une dimension criminelle, et qui font en tant que tel l’objet de tentatives politiques de travestissements. Ces lois votées ne sanctionnent pas des opinions mais reconnaissent et nomment des délits qui, au même titre que le racisme, la diffamation ou la diffusion de fausses informations, menacent l’ordre public.

L’historien serait-il le seul citoyen à être au-dessus de la loi ? Jouirait-il d’un titre qui l’autorise à transgresser avec désinvolture les règles communes de notre société ? Là n’est pas l’esprit de la République où, comme le rappelle l’article 11 de la déclaration des Droits de l’Homme, "tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".

Premier signataires : L'avocat serge Klarsfeld, l'écrivain Didier Daeninckx, le cinéaste Danis Tanovic, l'avocat Alain Jakubowicz



Vigilance sur les usages publics de l'histoire !
Tribune libre dans L'humanité, 21/12/2005

Par Michel Giraud (CNRS), Gérard Noiriel (EHESS), Nicolas Offenstadt (université Paris-I) et Michèle Riot-Sarcey (université Paris-VIII).

L'instrumentalisation du passé prend aujourd¹hui des formes inquiétantes. La loi du 23 février constitue une violation tout à fait inacceptable du principe d'autonomie de l'enseignement et de la recherche historique. La pétition signée par 19 personnalités appartenant au monde des historiens et du journalisme ne peut nous satisfaire.  Si elle rappelle les règles fondamentales de notre discipline, elle n'en sème pas moins la confusion entre mémoire collective, écriture de l¹histoire et enseignement. La réflexion critique sur le passé n'appartient pas aux seuls historiens, mais concerne la totalité des sujets, conscients de l'état de crise dans laquelle nous sommes plongés et qui souhaitent se situer dans le monde contemporain en toute connaissance. La connaissance scientifique de l'histoire et l'évaluation politique du passé sont deux démarches nécessaires dans une société démocratique, mais qui ne peuvent être confondues. Il n'appartient pas aux historiens de régenter la mémoire collective. En revanche, si la représentation nationale est en droit de se prononcer pour éviter les
dérives négationnistes ou rendre compte d'une prise de conscience, certes tardive, des méfaits de l'esclavage ou de la colonisation au nom de la Nation, de l'Empire ou d'une République exclusive, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la recherche et l¹enseignement de l'histoire.

C¹est dans cet esprit que nous avons constitué un comité de vigilance sur l'usage public de l¹histoire au printemps dernier. Nous appelons d'ailleurs toutes les personnes intéressées à nous rejoindre (*). 
Le 4 mars prochain, nous organisons un débat public sur les thèmes d'actualité en débat aujourd'hui et qui engagent l'écriture et l'enseignement de l'histoire : esclavage, communisme, colonisation, guerre, féminisme...

(*) Quarante-deux historiens ayant déjà cosigné cet appel.
[un colloque aura lieu le 4 mars 2006 ]

Le site du Comité de Vigilance




Pétition spécifique des Clionautes

"Dans le contexte actuel de menaces croissantes sur les programmes d'histoire, notre profession et notre liberté pédagogique, l’Association des Clionautes ( association loi 1901 désirant agir pour promouvoir les usages pédagogiques des Technologies Nouvelles dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie), réaffirme avec force les principes suivants :

- l’histoire est une démarche scientifique d’établissement des faits, qui repose sur la confrontation de documents, d’objets, de traces, de souvenirs. L’enseignement de l’histoire obéit à cette même démarche et la met en pratique avec les élèves et des étudiants. Il s'appuie donc sur les acquis de la recherche historique.

- l’histoire et son enseignement sont une démarche de compréhension et d’explication du passé,sans anachronismes, sans tabous, sans a priori dogmatiques ni exclusives idéologiques, sans volonté de glorifier ou de condamner. L’espace-temps de l’histoire n’est pas celui de l’actualité, de la même façon son enseignement est fondamentalement un “dépaysement”.

- l’histoire n’est ni la religion, ni la morale, ni la politique, ni la justice, ni la mémoire, ni la commémoration. Tous ces domaines sont des objets d’histoire, dans la recherche comme en classe.

- Comme enseignants d'histoire, nous savons trop quels sont les régimes qui ont voulu encadrer ou faire taire notre discipline. Dans une démocratie, l’histoire ne s’écrit ni ne s’enseigne dans les tribunaux ou au Parlement. L’historien doit pouvoir chercher librement, le professeur d’histoire enseigner librement, à l’abri de toute pression.

Au nom de ces principes mis à mal récemment, l’Association des Clionautes demande l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 ainsi libellé : “Les programme de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit...”

De façon plus globale, afin de favoriser la libre réflexion sur toutes les questions historiques, et de garantir la liberté pédagogique sans cesse réaffirmée par notre hiérarchie, l'association des Clionautes considère que la loi de 2005, pas plus que d'autres dispositions législatives, ayant des finalités identiques, ne doivent interférer 
dans la recherche historique et son enseignement, ni les instrumentaliser

Signatures :  http://www.clionautes.org/petitions/index.php?petition=3
 



Urgence : l’abrogation de la loi du 23 février 2005
contre l’indépendance de l’histoire

Jacques Chirac a affirmé le 4 janvier, lors de ses vœux à la presse, que l’article 4 de la loi mentionnant le “ rôle positif ” de la colonisation, qui “ divise les Français ”, devait “ être réécrit ” et que le président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré, chargé d’une mission sur le rôle du Parlement dans le domaine de l’histoire et de la mémoire, présenterait une proposition de loi “ qui rassemble et apaise les esprits ”.

 Ce que demandent les historiens et enseignants qui ont protesté contre cet article, c'est son abrogation. La confusion qui s’est instaurée, l’amalgame entre des lois qui, toutes, posent problème aux historiens, qui risquent de peser sur leur liberté, mais qui n’ont ni le même contenu, ni les mêmes finalités, et risquent de provoquer des incompréhensions dans l’opinion appellent une prise de position claire. 

Urgence : l’abrogation de la loi du 23 février 2005 contre l’indépendance de l’histoire

Il faut rappeler avec force la nécessité d’une indépendance de l’historien, qui est une conquête de la démocratie, et la différence entre l’histoire et les mémoires, la mémoire officielle et les mémoires sociales. Cette indépendance est la condition d’existence d’une discipline qui doit prendre ses distances par rapport à la société, obéir à des règles de méthode critique qui sont le garant de son caractère scientifique. Ni le politique ni le juge ni les médias n’ont autorité pour trancher sur la connaissance du passé. L’historien n’a pas la tâche de juger le passé, mais de le rapporter, puis de l’expliquer et de l’interpréter. Il doit respecter les réalités attestées par des sources, mais il les interprète librement dans le respect des règles de son métier et dans le cadre des débats contradictoires d’ordre scientifique. L’histoire est aussi une science sociale, de sa société, dans sa société, et son domaine est le rapport entre présent et passé, dont les mémoires sont une donnée, même pour le passé le plus éloigné. Sa spécificité fait qu’elle doit s’interroger aussi sur sa fonction sociale et donc sur le fait que les questions qu’elle pose et ses réponses sont liées au monde. 

Les historiens professionnels ne sont pas seuls à être concernés par le passé, et ils n’en ont pas la propriété. Ils sont confrontés à l’existence de groupes dominés et ils ne peuvent ignorer que leur discipline a servi et sert très souvent de justification aux dominants. Marc Bloch, en 1940, assuré que les historiens avaient été de “ bons artisans ”, s’inquiétait de savoir s’ils avaient été aussi “ d’assez bons citoyens ”. 

La traite et l’esclavage des Noirs, le génocide des Arméniens, le génocide des juifs, ne sont pas assimilables au malheur des Européens d’Algérie et à celui des harkis. La loi du 23 février, à la différence des autres, priverait de tout passé une partie de la population française qui ne peut pas se reconnaître dans cette déformation de l’histoire, encouragerait des réactions identitaires xénophobes et communautaristes. L’article 3 de cette loi menace la recherche en créant une “ Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats d’Afrique du Nord ”, où le poids de l’Etat et celui des lobbies nostalgiques de l’Algérie française risquent d’être lourd. Parce qu’elle ne demande pas plus d’enseignement de la colonisation – ce qui eut été légitime – mais donne une interprétation officielle de cette partie de notre histoire nationale,  elle menace dans son article 4 notre métier et notre fonction. La condition des enseignants des écoles, collèges et lycées – en charge de tâches difficiles de transmission du passé – n’est pas celle des universitaires, ils ne bénéficient pas de leurs franchises, ni d’un statut qui les protège de sanctions ; ils sont particulièrement concernés. 

La liberté que nous exigeons doit s’accompagner d’une critique des conservatismes et du corporatisme qui ne doit épargner aucune collectivité. La marginalité actuelle des migrations, de l’esclavage et de la colonisation, de l’histoire du genre dans l’enseignement et dans l’école historique française engage la responsabilité du métier. 

Ces enjeux, la liberté et les fonctions de l’histoire nécessitent des initiatives : nous rappelons l’urgence de l’abrogation de l’article 4 de cette loi, nous appelons à un débat collectif de la profession sur le devenir de notre discipline. 

[une rencontre nationale est prévue le 23 février 2006 ; d'autres sont prévues outre-mer. ]

Signataires : 
Hélène d’Almeida-Topor, professeur émérite, université Paris 1
Alban Bensa, directeut d’études EHESS
Jean Baubérot, directeur d’études à l’EPHE 
Esther Benbassa, directrice d’études à l’EPHE 
Jean-Pierre Chrétien, directeur de recherches, CNRS 
Fanny Colonna, directrice de recherches, CNRS 
Alice Conklin, University of Ohio 
Myriam Cottias, chercheuse, CNRS 
Georges Dupon-Lahitte, universitaire, président de la FCPE 
Marcel Dorigny,  professeur, université Paris 8
Mohammed Harbi , professeur émérite, université Paris 8
Jean Jamin, directeur d’études à l’EHESS, directeur de la revue L’homme 
Claude Liauzu, professeur émérite, université Denis Diderot, Paris 7 
Patricia Lorcin, University of Minnesota 
Gilles Manceron, vice-président de la LDH 
Gilbert Meynier, professeur émérite, université de Nancy 2 
Pap Ndiaye, directeur d’études à l’EHESS 
Gérard Noiriel, directeur d’études EHESS 
Jean-Marc Régnault, université de Polynésie française 
Frédéric Régent, université des Antilles-Guyane 
Michèle Riot-Sarcey, professeur, université de Paris 8
Jean-Pierre Sainton, maître de conférences, université des Antilles -Guyane
Patrick Weil, directeur de recherches CNRS
4 janvier 2006 



Pléthore de mémoire : quand l'Etat se mêle d'histoire…
Mis en ligne le 25/01/2006

L’histoire a la cote. L’engouement du public et les convoitises du monde politique sont indéniables. Ministres fédéraux et régionaux, députés et sénateurs multiplient les initiatives à portée historique, invoquant le plus souvent un « devoir de mémoire ». En témoignent pour ne citer que quelques exemples récents l’enquête initiée par le Sénat à propos de la responsabilité des autorités belges dans la persécution des juifs, les commissions parlementaires pour établir les responsabilités belges dans le meurtre de Patrice Lumumba ou pour établir les causes de la disparition de la Sabena, les débats parlementaires sur le génocide arménien et la pénalisation de sa négation, les plans du gouvernement flamand pour un « musée, centre d’archives et d’études sur les violations des droits de l’homme » à Malines, le financement belge d’un futur musée de l’Europe à Bruxelles ou encore le programme « Écoles pour la démocratie », organisant le voyage à Auschwitz en avion militaire pour des centaines de collégiens belges à la fin de ce mois. Largement de quoi combler le bonheur des historiens belges, donc ?

Les historiens que nous sommes ne rejettent pas tout concours dans ces initiatives. Ce serait faire preuve d'un purisme scientifique au mépris de la demande sociale. Nous sommes nombreux à nous engager dans des projets à la demande du monde politique et nous assumons pleinement les responsabilités qui découlent de notre statut de chercheurs et d’enseignants rémunérés sur des fonds publics. Pourtant, cet engouement nous laisse quelquefois sceptiques, il peut même à d’autres moments nous inquiéter, parce qu’au-delà des effets médiatiques manifestement visés, il n’apporte pas de souffle nouveau à la recherche historique et tend surtout à construire une obligation de mémoire. Quel doit être le rôle des pouvoirs publics dans la « transmission de la mémoire du passé » tel que l’invoquent des projets en cours ?

Premièrement, la commémoration, qui organise le souvenir dans un but politique, est une action tout à fait légitime d’un État, d’une région ou d’une commune. Seulement, elle ne peut être confondue avec la promotion de la recherche historique, qui est une discipline critique et indépendante des usages politiques du souvenir. S’il y a bien un lien entre mémoire et histoire, les deux démarches obéissent à des exigences différentes. La mémoire ne donne pas accès à la connaissance, elle mobilise le passé dans un projet politique ou civique au présent. L’histoire, elle, revendique un statut de scientificité. L’histoire n’est pas au service du politique, elle n’est pas émotion. Elle n’accepte aucun dogme et peut être dérangeante. Si l’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit certainement pas. Plutôt que le devoir de mémoire tant invoqué, nous aimerions voir plus souvent invoquer le devoir d’histoire et de savoir. Les initiatives récentes visant à diversifier les expériences historiques commémorées dans ce pays, afin de mettre nos politiques de mémoire en phase avec la diversité de la société belge sont louables. Gardons-nous pourtant de toute pensée magique croyant transformer des écoliers en citoyens tolérants et antiracistes le temps d’un aller-retour à Auschwitz. Cette démarche, utile et méritoire, n'a de valeur qu'ancrée dans un savoir historique qui dépasse l'émotion née du choc des horreurs. Non, l’histoire n’est pas un nouveau catéchisme de la multiculturalité, capable de combattre l’extrême droite et la xénophobie, de promouvoir la démocratie, l’idée européenne ou la solidarité mondiale. Une mémoire exclusivement « négative », faite de l’énumération des Grandes Tragédies de l’Histoire, contribue peu au développement d’une réflexion critique et elle peut même cultiver un sentiment d’autosatisfaction morale d’un présent rédimé face à un passé d’horreurs et de brutalités.

Appartient-il au parlement et au gouvernement d’élaborer une nomenclature des catastrophes dans un inventaire toujours plus exhaustif, partant du génocide des juifs en passant par les tsiganes, les arméniens, les victimes du colonialisme, du génocide rwandais, du conflit en Bosnie ou au Darfour ? Comme l’historien français Henry Rousso l’a écrit récemment, dans une histoire criminelle de l’humanité, de plus en plus « l’État se retrouve en même temps source du crime et source de rédemption ». Faut-il multiplier les actes de repentance et de pardon –quelquefois d’ailleurs pour se donner bonne conscience pour expliquer le comportement de l’administration sous l’occupation, l’Inquisition, la traite des noirs, la conduite des troupes allemandes en août 1914, les procès de Moscou, l’extermination des amérindiens voire encore l’exploitation des enfants par le capitalisme naissant ou les massacres des troupes romaines en Gaule ? Une judiciarisation croissante du débat historique constitue une atteinte à la liberté d’expression et de la recherche et elle porte en elle des effets pervers qui ne bénéficient qu’aux menteurs et fomenteurs de haine.

Les historiens sont bien entendu les derniers à se plaindre quand l’État fait preuve d’ouverture, d’autocritique et de transparence dans les enquêtes commanditées pour faire la lumière sur un passé trouble. Ces enquêtes ont indéniablement contribué à une meilleure connaissance de ces drames et à identifier de façon incontestable les responsabilités politiques au-delà de la polémique et du soupçon. Il est bon que les historiens soient appelés comme experts, si nécessaire, à condition que cela ne produise pas une nouvelle histoire officielle et que les archives soient accessibles à l’ensemble de la communauté scientifique. Pourtant, la démarche qui consiste à accorder un accès exclusif à des chercheurs triés sur le volet, pour ensuite aussitôt refermer les archives aux autres chercheurs est fondamentalement problématique pour une discipline qui tient sa scientificité du contrôle contradictoire des sources, de la critique et du débat sur les interprétations. Quand la recherche sur commande se généralise, elle comporte aussi un grave danger pour les équilibres thématiques dans une toute petite communauté d’historiens comme en Belgique, car des pans entiers de la recherche qui ne correspondent pas aux priorités politiques du moment risquent d’être abandonnés. Victimes de phénomènes de mode, les historiens pourraient y perdre une des principales libertés dont ils disposent, celle de poser leurs propres questions au passé. N’oublions pas, tout de même, qu’il n’y a point eu besoin de commissions parlementaires pour élucider des questions brûlantes de l’histoire politique belge récente, comme en témoignent les travaux sur Léopold III ou sur l’assassinat de Julien Lahaut.

En conclusion, nous ne demandons pas aux autorités politiques d’en faire plus qu’il n’en faut, mais de remplir leurs missions essentielles pour permettre aux historiens de faire leur travail. Comment comprendre que le monde politique s’empresse de prendre de nombreuses initiatives historiques à haute charge symbolique, mais que la loi sur les archives, inchangée depuis 1955, est honteusement anachronique par rapport à nos partenaires européens. Plutôt que d’envisager la multiplication des commissions il serait plus urgent que les responsables politiques permettent l’accès aux archives à tous les chercheurs, en donnant les moyens nécessaires aux institutions chargées de les identifier, de les classer et de les inventorier. L’accès accordé dans le cadre des commissions d’enquête doit devenir la règle, et non l’exception. Si l’histoire importe tant, pourquoi ne pas mettre notre législation en conformité avec celle d’une démocratie moderne, raccourcir les délais de consultation de 100 ans à 30 voire 20 ans et veiller à la conservation de notre patrimoine archivistique. Nous ne pouvons d’ailleurs que soutenir les démarches des archives de l’Etat et d’autres institutions d’archives allant dans ce sens.

De même il serait urgent de revoir la loi sur la protection de la vie privée, législation qui a toute son utilité pour des documents et fichiers relatifs à des individus vivants, mais qui gêne considérablement les recherches historiques et les paralyserait totalement si elle était appliquée toujours et partout. Le sursaut pour la sauvegarde de toutes nos mémoires mondiales, nationales, régionales ou locales, nous ne l’attendons pas des grandes déclarations, des nouvelles initiatives législatives pour codifier l’histoire ou d’ambitieux programmes éducatifs, mais bien d’une politique efficace de transparence, d’accès aux archives et de respect pour l’autonomie et la liberté des chercheurs. Ne nous trompons pas de priorités : c’est bien dans ces domaines-là que les politiques doivent assumer leurs responsabilités.

Liste des signataires:
José Gotovitch, professeur de l'Université ULB, Guy Vanthemsche, hoogleraar VUB, Jean-Pierre Nandrin, professeur FUSL et ULB, Pieter Lagrou, chargé de cours ULB [...]
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=264826

DL 02/2006


 
 

A l’invitation du club politique de l’ENS

LES LOIS DE MEMOIRE.
Contestations, justifications.
Arguments pour un débat de fond

Lieu : Ecole Normale Supérieure 45 rue d’Ulm, 75005 Paris, salle Dussane
Métro Luxembourg
Samedi 21 janvier après midi à 15 heures 30, accueil et présentation (début des débats à 16 heures précises). Fin 19 heures

Table-ronde avec la participation de :
Gilles Manceron, historien et vice-président de la Ligue des droits de l’Homme 
Bogumil Jewsiewicki, chaire d’histoire comparée de la Mémoire, Université Laval, Canada.
Patrick Garcia, historien, IUFM Versailles, Institut d’Histoire du temps présent
Pap Ndiaye, historien, EHESS
Bruno Belhoste, historien, Paris X Nanterre
Paul Thibaud, philosophe, initiateur de l’appel " la liberté de débattre "

Modérateurs : Sophie Ernst ( INRP), Christian Delacroix (Université de Marne-la-Vallée)
 

On est passé en quelques années d’une demande de mémoire qui semblait légitime, à un devoir de mémoire quelque peu étouffant, et rapidement aux craintes devant les effets pervers d’une judiciarisation qui priverait de " la liberté de débattre ".

Il y a eu un déclencheur : l’article 4 de la loi du 23 février 2005, qui a suscité une vive protestation. Certains ont alors dit : pourquoi contester cette loi, sur la colonisation, et non pas la loi Taubira, qui a servi de modèle ? Puis, le débat s’amplifiant, il y a eu des pétitions pour demander l’abrogation de toutes les lois portant sur la mémoire : en remontant jusqu’à la loi Gayssot.

Le problème n’est pas simple et ne saurait se résoudre dans un affrontement binaire ; ses enjeux civiques sont importants, les implications pour la recherche et l’enseignement sont à évaluer. C’est pourquoi il vaut la peine de confronter des arguments, plutôt que des positions tranchées, et nous efforcer de remonter jusqu’aux problèmes de fond. Par exemple : la place et les formes de la mémoire, les difficultés que nous posent les commémorations négatives, les dispositifs mémoriels, l’efficacité des lois, leurs effets pervers...

Avec nous, pour pousser cette discussion, des historiens, des membres d’associations, des signataires d’appel, qui ont développé des argumentaires précis. Nous profiterons également du passage à Paris ce jour-là de Bogumil Jewsiewicki, spécialiste canadien des questions de mémoire dans une perspective comparatiste, à qui nous confierons la tâche de nous empêcher de rester enfermés dans " l’exceptionnalisme français ".



Comité de Vigilance face aux Usages publics de l'Histoire

      Journée publique de discussion sur les usages publics de l'histoire

      Polémiques, commémorations, enjeux de mémoire, transmission et enseignement

Samedi 4 mars 2006, Amphi III, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 
centre Panthéon. 12, place du Panthéon, Paris. 10 - 18 h.

Après une introduction de Gérard Noiriel, « Histoire et mémoire »

Les interventions de :
- Marcel Detienne, « Les Grecs et nous »
- Frédéric Régent , « Esclavage et traites négrières. Enjeux et débats. » (titre provisoire)
- Catherine Coquery-Vidrovitch, « Le passé colonial, entre recherche scientifique et usages mémoriels »
- Nicolas Offenstadt, « La Grande Guerre aujourd'hui »
- Bernard Pudal, « Les instrumentalisations politiques des recherches sur le communisme »
- Gérard Noiriel, « La "guerre des pétitions" autour de la loi sur « le rôle positif « de la colonisation »
- Michèle Riot-Sarcey, « L'usage du genre un enjeu dans l'écriture du politique »

Cette journée est ouverte à tous dans la limite des places disponibles.

Contact : cvuh@free.fr <mailto:cvuh@free.fr>