Les 7èmes Rendez-vous de l'histoire

Blois 2004

  Le site officiel :
http://www.rdv-histoire.com/home_bl.html

Plusieurs débats sont en ligne sur Canal-U


L'invention de l'histoire des femmes et du genre

Débat diffusé sur Canal-U, compte rendu par Catherine Gervois
http://minilien.com/?ZFQp4uoKaz

Avec la participation de: 
Mme Françoise Thébaud, professeure, Université d’Avignon
Mme Cécile Dauphin, chercheuse, EHESS
M. Eric Fassin, professeur agrégé, ENS
Mme Yannick Ripa, maîtresse de conférences, Université de Paris VIII
Mme Violaine Sébillotte, maîtresse de conférences, Université de Paris I 

L'histoire produite et enseignée était une histoire au masculin. 
Depuis 30 ans, on a assisté à l'invention d'un nouveau domaine de recherche "l'histoire des femmes et du genre", dont 3 pionnières animent le débat. 

En 1973, "les femmes ont elle une histoire?" était un cours de Michèle Perrot à Paris VII, et à Aix en Provence s'ouvrait un cours sur l'histoire de la condition féminine. 
En 1983 un colloque a débattu sur "l'histoire des femmes est-elle possible? "
Entre ces 2 dates s'étend la décennie d'émergence et de développement de ce nouveau champ de recherche historique. 

1/ Une origine militante
Il faut insister sur le lien fort entre l'émergence de ce champ et le mouvement féministe des années 70. Des féministes criaient ce slogan "Nous sommes sans passé, nous n'avons pas d'histoire !" . Il y avait bien quelques biographies plus ou moins négatives de Cléopâtre, Marie-Antoinette, Joséphine …

Les femmes n'ont-elles pas participé à l'Histoire? L'absence des femmes dans l'histoire avait certes une signification. 

Le premier objectif était donc de faire émerger l'action des femmes dans l'Histoire. 
Et s'est posé le premier problème, celui des sources. Les archives sont écrites au masculin; elles ont été sélectionnées et conservées par des hommes. Or les femmes participaient nécessairement à l'histoire, même si elles étaient exclues du discours officiel. Les femmes étaient en quelque sorte des ombres sur le théâtre de l'Histoire.

Le deuxième problème a été de faire reconnaître la validité de ce champ de recherche. Ce travail a été déprécié en "histoire de bonnes femmes" et a dû prouver son caractère scientifique. Il était parti d'un terrain militant. 

2/ Les débuts de l'histoire des femmes

Cécile Dauphin chercheuse à l' EHESS :

L'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales est une institution qui est restée peu féminisée jusqu'à très récemment : une présidente a été élue au printemps 2004. Et pourtant, c'est elle qui a servi de cadre pour abriter les débuts de la recherche sur l'histoire des femmes.

Quelles ont été les conditions matérielles d'émergence de l'histoire des femmes?
Ces pionnières travaillaient en ordre dispersé. Des femmes ont improvisé : elles se sont donné autorité et autorisation, elles se sont initiées et ont initié une recherche sans idées claires des moyens et des objectifs, et ont vécu cette "aventure" intellectuelle comme une transgression par des femmes plurielles et agissantes. 

Il s'agissait d'instaurer de nouvelles pratiques de la recherche : objets, sources, avec le souci d'infléchir l'écriture de l'Histoire. 
Le centre de recherches historiques a servi de caisse de résonance sans offrir un enseignement spécifique. Il y avait une résistance flagrante dans l'Institution et la Recherche. Il était difficile de proposer des problématiques sur l'histoire des femmes pour des projets de recherche. Il y a eu certains échecs, mais aussi cette institution offrait une marge de liberté, et en particulier une logistique pour faire des réunions. Entre 1977 et 1978, ces réunions ont eu pour objet des négociations pour créer une revue internationale d'anthropologie et d'histoire des femmes. Dès le départ en effet, c'est dans une perspective internationale que s'inscrit cette démarche. Il y avait une prise de conscience des besoins urgents d'information, d'où la nécessité de réseaux de relations qui se sont tissés localement avec Paris VII. (groupe de Jussieu). Ces démarches ont permis la publication d'un Bulletin d'Information et d'Etudes sur les Femmes (BIEF). S'y sont greffés différents groupes de Paris, d'Aix Marseille, de Lyon. 

Le 1° numéro s'intitulait : le corps féminin, d'autres ont suivi.
Puis une autre revue "Pénélope" (avec un certain décalage humoristique) est parue de 1979 à 1985; elle avait 200 abonnés. On y abordait différentes thématiques : éducation, vieillesse, presse, etc… Les conditions de publication étaient encore militantes et en déphasage avec la non-reconnaissance par le milieu qui les abritait. 

L'histoire des femmes est née dans ces groupes de recherche et elle a bénéficié de circonstances, et aussi de la modification de l'organisation de la recherche. En effet celle-ci est devenue moins hiérarchisée, plus individualisée, et elle s'appuie sur des problématiques plus novatrices. 

3/ De nouveaux objets de recherche

Yannick Ripa, Maîtresse de conférences à Paris VIII

On peut être tenté de penser que l'histoire au féminin a été élaborée pour compléter l'histoire au masculin. Une Américaine a développé cette thèse d'une "histoire au féminin compensatoire"

En fait l'histoire des femmes a permis d'envisager de nouveaux objets d'histoire. Elle n'est pas compensatoire, mais c'est plutôt une histoire d'accumulation de nouveaux objets, dans le souci de trouver des matériaux pour une histoire des femmes. 

Les chercheuses sont parties des problèmes des féministes, et en particulier des idées reçues sur les femmes qui réduisent les femmes à leur corps, aux faits de la maternité, la famille. Les femmes sont considérées comme étant du ressort de la vie privée et sont à l'écart de la vie publique. 

Puis on a pris conscience que la coupure entre vie publique et vie privée n'était pas aussi évidente; elle n'est pas justifiée. On s'est alors intéressé aux travaux des femmes, les femmes dans le clergé, assumant parfois une responsabilité dans une hiérarchie, et en général à toutes les femmes travailleuses. Contrairement à une idée reçue, infondée, les femmes n'ont pas commencé à travailler après la 1° guerre mondiale, mais de tout temps. 

Les premières thèses ont été soutenues sous la direction de Michèle Perrot, de Madeleine Ribérioux, d'une professeure (?) d'Aix en Provence. Leurs sujets portaient déjà sur les marges de l'histoire des femmes :
- sur l'homosexualité féminine,
- les femmes en prison, 
- les femmes et la folie.
Ces travaux concernent des femmes en "marge" qui y expriment le refus, dans leur identité, du genre "féminin" imposé. 

Le point de départ a été l'espace convenu féminin et s'est étendu jusqu'aux marges et à l'espace politique. Cf Thèses de F. Rochefort, S. Chaperon , Christine Barbe …

4/ Naissance de l'histoire du "genre"

M. Eric Fassin professeur agrégé de l'ENS

L'histoire du genre est internationale dès le début, et les Etats-Unis y ont joué un rôle pilier. 
Pourquoi les USA ont-ils inventé le concept "histoire du genre"? Comment peut-on aujourd'hui parler d'histoire du genre?
Une réponse est à trouver dans leur sociologie universitaire. En France, l'enseignement supérieur est orienté vers des concours d'Etat en faveur du recrutement pour l'enseignement, alors qu'aux EU, il est orienté par un "marché" universitaire qui favorise l'originalité, avec une réserve sur les effets de mode.

La France est-elle plus rétive aux questions du "genre" ? 
Dans la France des années 90, les questions de "genre" seraient américaines, donc disqualifiées. On leur reprochait aussi d'être "politiques", c'est-à-dire à motivation militante. Pour étayer une réponse, on pourrait suggérer une histoire politique, des recherches refusées ou en difficulté en France. 

Et pourtant aux USA, l'histoire de "genre" n'est pas étrangère à la culture intellectuelle française. Dès les années 70, à la naissance de l'histoire de genre, les chercheurs faisaient référence à Simone De Beauvoir et à Lévy-Strauss. Cette histoire de genre est aussi liée à l'anthropologie. 

Qu'est-ce que l'histoire de ou du (?) "genre"?
Elle concerne une opposition de genre, selon le sexe par exemple, que sous-tend une opposition nature - culture. De manière très simplifiée, on peut dire que le fait d'être femme est une donnée culturelle. "On ne naît pas femme, on le devient", selon un modèle culturel imposé. On peut envisager ces questions dans le cadre national, bien sûr, mais fondamentalement, elles ne sont pas d'ordre national, mais d'ordre culturel. 
Les questions de genre concernent la sexualité, les minoritaires, l'ethnique racial. 

Est-ce un savoir politisé? Peut-on en donner une définition qui transcende l'histoire?
En fait il y a eu déplacement des objets de l'histoire de "genre" au cours des années 70-90. Par exemple, on est passé de l'histoire de genre selon le sexe, fondée sur un contraste par le sexe, (années 1970) à une histoire de genre selon la sexualité. 

Selon les travaux de Thomas Laker, (?) "la fabrique du sexe", on assiste à une radicalisation. On part d'une histoire de l'opposition sexe-genre à travers l'anatomie. En effet, il y a eu un basculement au XVIII°: avant, il y a 1 sexe sans différence de nature entre H et F, on les considère distincts par la suite, à partir du XIX° surtout. (NDLR : on peut en douter, ou il faut le démontrer; cette affirmation pourrait être objet de débat à elle seule !)

La radicalisation qui fait basculer dans l'histoire de "genre" est de se poser cette question: peut-on se dire si, derrière le genre, il y a bien un sexe biologique? De cette question découlent toutes les problématiques sur le partage des identités selon un "genre". 
Voir aussi les travaux de John Scott sur "langage égale pouvoir".

5/ Les apports de l'histoire de genre

Mme Violaine Sébillotte, responsable du séminaire d'Histoire "Genre et Histoire", Université Paris 1

Ce séminaire regroupe des historiens avec une formation d'histoire des sociétés, plus jeunes, et non d'origine militante. 
Mme Sébillotte parle de la recherche sur l'Antiquité grecque où il n'y a pas de documentation, si ce n'est uniquement masculine : ces sources apportent la façon dont les hommes se représentent les femmes. Le genre est un outil de critique pour renouveler nos problématiques et tirer profit des documents disponibles: 

L'histoire de genre nous offre 3 apports importants: 
a) Ce regard valide la description théorique de la construction sociale, comme le montre la thèse de Sophie Dallane (?) sur les romans grecs du II° s av JC au II° s ap JC. Cette littérature a la forme de romans, où un couple, jeune homme et jeune fille, semblables et sur un pied d'égalité au début, vit des aventures, des épreuves, une sorte de voyage initiatique, au cours duquel l'un et l'autre se différencient en homme et femme . L'homme devient orateur, guerrier, et la femme apprend à se taire, à se soumettre avec un relatif consentement. Progressivement se met en place le genre. 

b) Si on part dans cette direction, on ouvre un nouveau champ de recherche, celui de l'analyse des identités sexuées. On peut étudier à travers la littérature, tout le vocabulaire qui parle des femmes, et de même celui sur les hommes. Le critère du sexe est-il opératoire pour établir les différences et une hiérarchie selon les situations? Si l'on observe des scènes de banquets sur les vases antiques, on voit des hommes, des "vainqueurs", barbus, avec des personnages masculins et féminins, danseurs, musiciens, la formation de couples homo- et hétérosexuels. Cette animation est au service de la distraction des hommes couchés et barbus. L'analyse montre la différence entre les hommes barbus d'un certain âge, d'une part et les autres jeunes hommes imberbes et les femmes, qui accompagnent les danseurs. Ici la césure est une question d'âge. 

c) L'histoire de genre apporte une complexification de l'étude sur les hiérarchies : on peut alors débloquer certains dossiers comme celui des filles sacrifiées pour la patrie. Ces sacrifices sont mis en scène dans des tragédies : Iphigénie, est une fille victime mais son consentement lui donne une dimension héroïque : elle en est "virilisée". Le commentaire traditionnel était peu satisfaisant : les filles sont plus familières du sang versé, les filles sont plus faibles, donc leur sacrifice est plus admirable. Ces explications prenaient source dans une nature biologique féminine. En fait, elles sont données en exemple aux garçons. Il s'agit de jeunes filles non mariées, appartenant et dépendante de leur père. La fille représente celle qui est toujours avec son père. Elle est mariée sous la domination du père, veuve, elle retourne chez son père. Le garçon devient majeur et indépendant. Les garçons guerriers doivent s'identifier au sacrifice des filles. 

Donc, grâce aux apports de l'histoire de genre, le regard du chercheur évolue et se renouvelle. Tout objet de recherche peut tirer profit de ce renouvellement.

6 /Usages différenciés de l'histoire du genre 

Eric Fassin

Le genre n'est pas réduit à un thème. 
Quelles sont les articulations entre l'histoire des femmes et l'histoire du genre? Dans les années 70 début 80, des Américaines ont étudié (Nancy Scott; Cotch?) les liens de la féminité dans la Nouvelle Angleterre du XIX°s : les femmes entre elles : asservissement, dépendances, culture féminine. L'histoire du genre amène à s'interroger sur les partages entre les hommes et les femmes, entre sphère privée et publique, et sur le processus d'instauration de ce partage dans la société. 

L'homosexualité masculine est entrée dans l'histoire du genre à la fin des années 70. Elle a été pensée dans la Grèce selon une opposition entre rôle actif et passif, ce qui est une opposition de genre, avec une assignation de rôles respectifs. Ce thème a été repris vers 1990 dans "New York entre 2 guerres" (?) qui montre comment les définitions de la sexualité se croisent entre les rôles sexués. 

L'histoire du genre est donc une discipline particulière, articulée avec d'autres disciplines, et définie par une problématique et non par un objet.
Cf 1998, colloque à Rouen : "une histoire sans les femmes est-elle possible?" 

Quels sont les enjeux de ce domaine de recherche?
Le genre a permis de se dégager du sexe biologique. Il a permis de mettre l'accent sur l'articulation masculin-féminin. Il permis de sortir d'une vision réduite dominants-dominés. Il a aussi permis de percevoir les médiations telles que le "consentement". 
Histoire du "genre" reste un mot polysémique, à significations variées. C'est un mot fétiche ou à balayer?

La dimension militante s'est effacée. Il y a eu apaisement dans la communauté scientifique. Ce concept reste difficile à admettre, voire à comprendre par les étudiants. Chaque chercheur y ajoute une dimension : 
genre? masculin et féminin, 
genre? histoire d'une opposition entre l'un et son "contraire" ou "complémentaire" inséparable?

L'histoire des femmes est un mode de questionnement de l'histoire et du monde dans lequel on vit. Comment transmettre cette accumulation des savoirs? Mais aussi on peut réfléchir sur les enjeux de l'inscription du politique dans les corps. 

La différence des sexes est plus ambiguë que le mot "genre". Le genre parle aussi des relations de pouvoir, de l'organisation des relations entre hommes et femmes en termes de pouvoir. L'intérêt de ce mot permet aussi d'éviter l'identité entre sexe et sexualité. 

Le mot genre est une étiquette parmi d'autres, on peut l'assimiler à une identité de type sexuée? ou au contraire poursuivre la remise en cause de "l'identité sexuée"

Q : Foucault utilité du mot genre mais avec plus de finesse 
Récit dans Nouveau testament 
Idée d'une tradition chrétienne : enfant nubile meurt pour ses parents. Le père ne veut pas qu'elle grandisse. Jésus la considère comme un être humain
R : Lecture rendue difficile par les textes récents du Vatican

Q : Comment penser la biographie féminine avec l'histoire du genre? 
R : Le genre est un outil . Une biographie est une mise en situation, comment elle vit la situation des genres, éducation, contraintes, rôle. Elle naît femme biologiquement puis elle devient femme sociologiquement dans la situation sociale du moment. 
Qu'est-ce qu'écrire une biographie en histoire actuellement? Cf débat sur la question. 

Q : Pensez vous qu'il puisse y avoir un aspect pervers de l'histoire du genre sur la société civile? Le genre serait une voie qui permet d'étudier comment s'effectue le partage entre féminin et masculin. Quels peuvent être les effets d'aller à l'encontre des assignations actuelles? 
R : Rappel de la grammaire genre masculin l'emporte sur le féminin?