[…] Le plus capable sert de maître à celui qui l’est moins, et c’est ainsi que l’instruction est simultanée, puisque tous avancent graduellement, quel que soit d’ailleurs le nombre d’élèves ". On avance également comme principe directeur du nouveau mode " la distribution du travail ", analogue à celle qui se développe dans l’industrie naissante "Après l’avoir si utilement employé pour les travaux mécaniques, on s’est avisé de l’appliquer aussi au développement des facultés de l’esprit, et le succès n’a pas été moindre " De là, d’ailleurs, le reproche de mécanisation que ne manqueront pas de lui adresser certains de ses détracteurs. LES ASPECTS MATÉRIELS Les longs bancs, de seize à dix-huit places, occupent la majeure partie de la salle. C’est là, sur les pupitres, que se dérodent les exercices écrits qui occupent environ la moitié du temps scolaire. Pendant l’autre moitié ont lieu les exercices oraux qui se font aux demi-cerdes. Ceux-ci, encore appelés cercles de lecture, en raison de leur destination essentielle, donnent aux écoles mutuelles un aspect typique et original. Ce firent, à l’origine, des cintres de fer demi-circulaires, qui pouvaient se lever ou s’abaisser à volonté. Au fil des ans, ils se virent remplacés par une matérialisation simplement portée sur le plancher : rainures, gros clous ou bandes tracées en forme d’arc. L’estrade est de dimensions imposantes.
Par degrés, on accède à la chaire du maître,
entourée d’une balustrade. Ainsi le pédagogue règne-t-il
sur la collectivité enfantine autant par sa position matérielle
que par ses qualités personnelles.
Enfin, les ardoises ont été
constamment utilisées et dans toutes les disciplines. C’est là
une innovation essentielle du mode mutuel. Avec un soin minutieux a été
constamment poursuivi l’effort de systématisation et de standardisation.
LES STRUCTURES PÉDAGOGIQUES Chaque matière enseignée dans les écoles mutuelles repose sur un programme précis et codifié que l’on retrouve dans tous les guides ou traités établis par des responsables influents de la méthode, Nyon, Bally ou Sarazin, par exemple. Ce programme est découpé en huit degrés hiérarchisés, qui doivent être parcourus successivement. Chaque degré s’appelle " classe " - et c’est ainsi que l’on parle de huit classes d’écriture ou d’arithmétique. Ce terme de " classe " est totalement
exclusif de la notion d’architecture ou de local. Il ne s’entend que par
rapport aux acquisitions et aux connaissances, la première classe
étant celle des débutants, la huitième celle de l’achèvement
du cursus scolaire.
L’affectation dans la classe est
donc uniquement fonction du niveau de connaissance.
Les exercices oraux - en lecture ou arithmétique - ou à l’aide d’un tableau noir - arithmétique, dessin linéaire - se font debout, par groupes de 9 au maximum, les élèves se tenant côte à côte et formant un demi-cerde. De là, d’ailleurs, l’appellation donnée à ce genre d’activité : "travail au cercle". Ainsi, dans une école mutuelle
ayant 36 élèves en troisième classe d’arithmétique,
le travail aux bancs se fera en deux groupes avec deux moniteurs et les
exercices au tableau noir avec quatre groupes et quatre moniteurs.
LES AGENTS DE L’ ACTION ÉDUCATIVE Au cours de la journée, il
reste responsable de la huitième classe - et, à ce titre,
se charge de la conduite de leurs exercices. fi procède aux examens
périodiques, mensuels ou occasionnels, dans les classes et décide,
éventuellement, des changements de classe. C’est lui, enfin qui,
au stade ultime, distribue punitions et récompenses.
Cette hiérarchie se traduit
très concrètement par des grades, des fonctions et des responsabilités,
rigoureusement codifiés.
Les moniteurs généraux d’enseignement sont chargés chacun d’une des disciplines de l’école. ils commandent les moniteurs particuliers qui leur sont affectés, règlent les évolutions pendant la leçon ou la marche des exer-cices et indiquent les moments de changer de procédé. Ils collectent, à la fin de chaque leçon, les noms des élèves qui doivent 6tre punis ou récompensés. Des marques distinctives les désignent à l’attention générale. Les moniteurs particuliers, responsables de classes ou de groupes, sont choisis dans la huitième classe de la discipline, compte tenu aussi de " leur bonne conduite ". Les moniteurs de classes sont responsables de l’une des huit sections existant dans chaque discipline. Ils sont le relais entre le moniteur général et les élèves. Si l’effectif de la classe est peu élevé, ils dirigent les exercices conformément aux directives reçues et selon les techniques qui leur ont été enseignées par le maître. 1. Bally, Guide de l’enseignement
mutuel, 1819, p. 144 et 145, § 209.
ORDRES ET COMMANDEMENTS Les ordres sont transmis de quatre
façons : par la voix, la sonnette, le sifflet ou les signaux.
Quant aux signaux manuels, ils ont été beaucoup utilisés. Destinés à évoquer l’acte ou le mouvement à accomplir, ils sollicitent le regard et doivent apporter le calme dans la collectivité. LES MATIÈRES D’ENSEIGNEMENT Par contre, les disciplines instrumentales lecture, écriture, calcul - ou utilitaires - dessin linéaire pour les garçons, couture pour les filles - bénéficient, avec l’enseignement religieux, de la quasi-totalité du temps scolaire. Novation importante, ces diverses matières sont enseignées simultanément et non successivement comme le veut l’usage dans les autres écoles. La lecture a été l’objet de soins attentifs et de recherches constantes. Le souci d’alphabétisation, souligné dès l’origine par les promoteurs du nouvel enseignement, ne s’est jamais démenti. Aussi les résultats ont-ils été continûment spectaculaires, en particulier pour la durée des apprentissages. Alors que, dans les écoles des Frères, il faut quatre années pour apprendre à lire, ce temps est réduit, au plus, à une année et demie dans les établissements mutuels. Les raisons de ce succès sont multiples et cumulatives. Les horaires consacrés à cette discipline sont importants : onze heures pour les quatre premières classes, cinq heures pour les deux dernières. La constitution de petits groupes - neuf élèves au maximum avec leur moniteur, quelle que soit la classe — évite les pertes de temps et permet une lecture intensive. En outre l’émulation constante et l’octroi de récompenses soutiennent l’attention. Enfin les méthodes retenues, celle de Peigné en particulier qui a connu une faveur durable jusqu’au début du XXe siècle, sont techniquement bien supérieures à celles des autres établissements. On utilise la " nouvelle épellation " avec appellation phonétique des consonnes, distinction des sons et des articulations, lecture de mots ou de petites phrases dès la deuxième classe, celle de l’apprentissage des syllabes de deux lettres. Chaque leçon, d’une heure, comporte trois moments : lecture à vue des tableaux en usage dans la classe, lecture de mémoire avec tableau retourné, épellation des mots. Ainsi, déjà, les opérations de décodage, mémorisation, encodage sont-ils de pratique courante. En écriture, on s’oriente dès l’origine vers la daté et la simplicité. Les fioritures, innombrables jusqu’alors, sont bannies. Werdet publie les règles de la nouvelle écriture dépouillée dite cursive française. Les améliorations qui y seront apportées au cours du siècle n’en modifieront pas l’architecture fondamentale. De la formation des lettres sur le sable, avec le doigt, dans la première classe, à l’écriture à l’encre, sur le papier, dans la huitième classe, l’étude est progressive et rationnellement conduite. En arithmétique, par contre, les résultats ont été relativement faibles. Les causes d’insuccès tiennent à la fois à la méconnaissance des modes d’appréhension sur la répétition. Les moniteurs ont à corriger, non à expliquer. Croire, selon l’affirmation de Jomard que " I’intelligence naturelle des élèves devinera ce qu’elle pourra des motifs de la marche qu’on suit dans les opérations ", était sans doute quelque peu insuffisant. Gaston Mialaret, Jean Vial - Histoire mondiale de l'éducation des origines à nos jours. T. 3 : de 1815 à 1945https://web.archive.org/web/20060621023126/http://clioweb.free.fr/dossiers/mutuel.htm |