Les TICE et l’enseignement de l’histoire

Entretien avec Daniel Letouzey,
paru dans Le cartable de Clio - n° 3 - 2003

Chercher, valider
Enseigner
Pratiques
Obstacles
Perspectives

Daniel Letouzey est professeur d’histoire et de géographie dans un lycée français. C’est un des pionniers de l’utilisation des TICE dans l’enseignement de l’histoire. Il a participé à la création de la liste H-Français ; il est secrétaire de l’association des Clionautes, deux espaces virtuels qui militent pour la diffusion des TICE en histoire et en géographie.
http://www2.h-net.msu.edu/~francais/    et    http://www.clionautes.org ;
Il est l’auteur, depuis décembre 1997, de la Chronique Internet, publiée dans la revue Historiens & Géographes. Cette chronique s’efforce de témoigner des activités multiples développées par nos collègues, et propose une sélection de ressources, aussi bien pour les enseignants que pour les élèves.
http://aphgcaen.free.fr et http://clioweb.free.fr

Le Cartable l’a interrogé, par Internet comme il se doit, sur sa pratique et sur l’apport spécifique des TICE en histoire. Sa réponse est à la fois le regard personnel de quelqu’un qui connaît particulièrement bien ce domaine, et le reflet d’une réflexion collective puisque le courrier électronique lui a permis d’interroger d’autres Clionautes acteurs des TICE, et de leur faire relire cette contribution. La rédaction du Cartable le remercie chaleureusement ainsi que tous les collègues qui ont peaufiné son texte.




Le Cartable -  Commençons cet entretien par une question extrêmement banale : parmi les idées les plus répandues en faveur des TICE, en particulier du net, figure l’accès facile à une information extrêmement abondante et diverse. De nombreux sites proposent des « documents » de toutes sortes sans que les références soient toujours indiquées. Comment apprendre aux élèves, mais aussi aux enseignants et à nous-mêmes, à ne pas se perdre dans une telle abondance, à se repérer et à contrôler l’information ? Quels sont les moyens, pas trop coûteux en temps, à mettre en œuvre pour développer l’esprit critique ?

S’interroger sur « l’information extrêmement abondante », c’est mettre en avant une des représentations de l’Internet - celle de la Toile définie comme une Encyclopédie Universelle Virtuelle -, un slogan publicitaire efficacement diffusé par les fournisseurs d’accès. En fait, Internet est avant tout un outil de communication, et donc d’abord un carnet d’adresses, un instrument de travail en réseau. Jusqu’ici, cette fonctionnalité a plutôt été négligée dans l’enseignement en France.

L’abondance est réelle, surtout pour les internautes qui ont accès au web en anglais : une recherche sur
http://www.google.fr indique 3250 adresses pour « enseigner l’histoire », mais 3 millions pour « teaching history ».
Mieux vaut être élève ou professeur dans les sections européennes, en anglais…

Cette abondance est en partie illusoire : « Jean Monnet » est cité 107 000 fois, mais 2 600 références concernent un « lycée Jean Monnet » ; 16 seulement renvoient à une biographie du « père de l’Europe ». Internet n’est donc ni une bibliothèque scolaire , ni une encyclopédie structurée, ne serait-ce que parce que l’accès libre et gratuit a fait fuir les éditeurs scolaires. La Toile ressemble plutôt à une immense foire internationale, à une auberge espagnole : on y trouve ce qu’un internaute a pris le temps d’élaborer et de diffuser.

L’abondance (et la pénurie) n’est pas limitée au réseau virtuel. La revue Le débat n° 125 publie un article où Emmanuel Hogg oppose, à propos de l’audiovisuel, « une culture de la rareté et de la lacune » à « l’orgie contemporaine des signes » ; l’auteur analyse le passage de « l’amnésie par défaut » à « l’oubli par excès ». Des observations semblables pourraient être appliquées à l’inflation des archives contemporaines, dans une société qui voudrait « Tout garder ? Les dilemmes de la mémoire à l’âge médiatique ».

Appliquée à l’éducation, la question de la profusion des données n’est pas nouvelle : les accusations fréquentes d’encyclopédisme en témoignent. Internet donne l’opportunité d’explorer à nouveau ces débats, à travers les rapports complexes que l’éducation entretient avec les « nouvelles » technologies successives : l’audiovisuel, l’informatique…

L’arrivée du réseau coïncide avec la volonté d’ouvrir davantage l’école sur le monde extérieur. Les attentes du système scolaire et les méthodes de travail ont de fait beaucoup changé depuis une génération. Dans les années 1960, pour un élève, l’essentiel était d’écouter, de comprendre et de savoir restituer une leçon ; le manuel, le cours, les morceaux choisis (par des adultes) étaient à la base du travail scolaire. Aujourd’hui, le même élève doit être capable, sur un sujet qu’il découvre parfois, de définir une problématique, de trouver les sources utiles, de rédiger une synthèse finale. Bibliothèques, Centres de Documentation et d’Information (CDI), Internet deviennent des auxiliaires incontournables.
Dans le cas d’Internet, vouloir utiliser le réseau à l’école, c’est devoir  prendre en compte des facteurs multiples : finalités de l’école, choix culturels et pédagogiques, processus cognitifs…
C’est donner la priorité absolue à la formation intellectuelle : l’aptitude à poser les bonnes questions, la capacité à distinguer l’essentiel de l’accessoire, en somme « la tête bien faite » selon Montaigne. En lettres, la priorité n’a jamais été de connaître l’ensemble des tragédies de Corneille ou de Racine, mais bien, à travers un choix limité de pièces ou d’extraits, de donner l’envie et les moyens d’une découverte personnelle.

C’est ensuite prévoir dans le cursus scolaire une double formation technique indispensable : la maîtrise de la recherche documentaire classique,  la pratique des outils spécifiques développés sur Internet. Les éléments nécessaires à cette formation existent. Encore faut-il pouvoir consacrer à cet apprentissage le temps nécessaire, et ne pas considérer comme acquises des compétences que l’on a oublié d’enseigner et d’évaluer…

La pratique du travail avec les élèves incite à replacer Internet dans une chaîne documentaire plus large . Un « carré documentaire » peut associer les attentes de l'enseignant qui a donné le travail, le contenu spécifique du manuel, l'exploration des ressources du CDI et des catalogues des bibliothèques, enfin l’emploi de ressources en ligne, pour actualiser, personnaliser, approfondir la recherche. Une telle démarche évite de perdre du temps en clics stériles : pourquoi laisser les élèves se précipiter vers Internet quand un auteur a publié un ouvrage faisant le point sur la question à étudier ?

Face aux ressources disponibles sur Internet, professeurs et élèves sont dans des situations très différentes.
Les professeurs se méfient parfois du réseau, mais leur formation universitaire et professionnelle les met en mesure de l’utiliser efficacement. Sur les thèmes d’un programme, ils connaissent les questions à poser, ils ont appris à établir une bibliographie, ils savent localiser les équipes de recherche… Dans leur pratique, Internet prolonge et valorise le livre et la culture de l’imprimé.
Pour les élèves, Internet est une chance et un risque. Une chance, parce que la célérité des moteurs de recherche , l’accès instantané à tout fichier stocké sur un ordinateur relié au réseau, leur permettent de profiter du travail de leurs prédécesseurs ; un risque, parce que certains en oublient parfois l’usage des livres et des revues.

En travaux de groupes, pour l’enseignant, plusieurs démarches sont possibles :
. Soit choisir un petit nombre de sites, et les faire explorer par les élèves : ainsi, en classe de seconde, Les Mondes normands, un site développé par le musée de Caen, permet d’étudier « La Méditerranée au XIIe siècle, carrefour de trois civilisations » à travers l’exemple de la Sicile normande :  http://www.mondes-normands.caen.fr/

. Soit faire exploiter les ressources du réseau en faisant appel aux moteurs de recherche. La pratique incite à ne pas se limiter à la lecture du premier écran (dans les préférences, étendre à 30 le nombre de réponses affichées) et à ne pas hésiter à reformuler une requête en tenant compte des premières réponses.

Dans tous les cas, il est possible d’utiliser les annuaires thématiques, quand ils ne se contentent pas de faire l’inventaire des vitrines officielles et institutionnelles, mais ont pris le temps de repérer des applications pertinentes pour le travail scolaire.
Le recours aux listes de diffusion, et à leurs abonnés, est une autre potentialité à mettre en oeuvre.

Ainsi, Internet est un outil d’autant plus efficace que l’on sait ce que l’on cherche, que l’on a appris comment chercher utilement, et qu’une connaissance raisonnable des questions à poser permet d’évaluer l’intérêt et la pertinence des ressources disponibles. La culture historique déjà acquise, la maîtrise des savoir-faire, l'habitude de la navigation sur le réseau ainsi qu’une dose de chance aident à repérer la mine ou le filon, c'est à dire, pour nous, le site conçu par le spécialiste de la question.
 

Comment apprendre à valider l’information ?

La question ne se pose généralement pas pour les livres, ni pour les journaux auxquels les élèves peuvent accéder dans une bibliothèque ou dans un CDI : le choix en a été fait par des adultes responsables. Par contre, l’absence de validation est le tendon d’Achille d’un réseau auquel ses détracteurs reprochent la présence des négationnistes et des pédophiles.

Dans l’histoire de la Shoah, plutôt que déplorer la présence des négationnistes, nous préférons faire connaître l’important travail déjà accompli : ainsi les activités du Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah (« Enseigner la Shoah », Primo Levi…) sont publiées en ligne.
La Chronique Internet renvoie de son côté aux nombreuses réalisations de nos collègues, celles de Dominique Natanson pour « Mémoire juive et éducation », celles d’Yves Guiet sur « Le sauvetage des enfants », celle d’Evelyne Py sur « Mémoire Net ».

La correction des copies, au baccalauréat, incite aussi à relativiser la question de la validation : ainsi, dans l’étude de documents, où les candidats doivent exploiter, « y compris de manière critique », les informations contenues dans un dossier, la présentation se limite souvent à un « copier/coller » des sources mentionnées dans l’épreuve. Trop peu d’élèves ont la culture, la formation, l’initiative nécessaires pour réussir, un jour d’examen, une lecture distanciée des documents : combien savent expliquer ce qu’était le « Comité ouvrier », signataire d’une affiche gaulliste de 1958 fréquemment utilisée au brevet et au baccalauréat ? Combien savent décoder et remettre en contexte le vocabulaire d’une affiche électorale ou d’un discours politique ?

Pour valider les ressources accessibles sur Internet, il existe des réponses simples et « rassurantes » :
1 - Filtrer étroitement l’accès des élèves aux contenus.
2 - N’admettre que l’emploi de publications ayant reçu une validation hiérarchique, sur des sites en .gouv, en .ac-.
3 - S’abriter derrière des questionnaires de validation.
Ces réponses ne peuvent cependant pas satisfaire un professeur d’histoire : elles ne contribuent pas à former l’esprit critique, qui doit s’appliquer aussi bien aux publications officielles qu’aux sources privées.

La solution, longue, lente et difficile, doit s’inspirer du travail des historiens et de leur méthode critique. Une critique externe, sur les conditions de production et de réception d’un document, et plus encore une critique interne, celle que permet une connaissance raisonnable du sujet et une pratique de sources diversifiées. Cette démarche, appliquée à Internet, poursuit le travail habituel en classe d’histoire.
Deux prolongements sont possibles : s’inspirer du travail spécifique de nos collègues anglais sur le point de vue des acteurs ; traduire quelques-uns des excellents sites en anglais, dont celui de John R Henderson
« Guide to Critical Thinking About What You See on the Web » : http://www.ithaca.edu/library/training/think.html


Le Cartable : Quelles sont les modifications que l’introduction des techniques informatiques produit dans l’enseignement de l’histoire : changements des activités d’apprentissage ? Changements des gestes professionnels des enseignants ? Changements de l’identité enseignante ? Cette introduction modifie-t-elle le temps didactique ?

Le travail avec ordinateur reste une exception ; il occupe rarement plus de 15 % du temps disponible, sauf dans les expériences en cours de « cartables électroniques » qui soulèvent des problèmes pédagogiques spécifiques.

Les modifications portent plus sur le support que sur les méthodes : avec l’accès rapide à Internet, avec le DVD, il est devenu commun de vanter les mérites du multimédia. Les choix techniques n’induisent pas par eux-mêmes une innovation pédagogique. Les TICE s’accommodent de toutes les situations pédagogiques, aussi bien lors d’une recherche en effectif réduit en Education civique, juridique et sociale (ECJS), lors d’un travail individuel au CDI, que lors d’un cours magistral (dialogué) auquel le vidéo-projecteur donne l’apparence d’une coûteuse modernité.

L’utilisation des TICE a d’abord été le fait d’une poignée de pionniers défenseurs des méthodes actives : correspondance entre classes, enquêtes sur le terrain, mise en ligne de sites conçus par des groupes d’élèves. Plus récemment, les différentes formes de travaux personnels -Itinéraires De Découverte (IDD) en collège, Travaux Personnels Encadrés (TPE) en lycée, ou Projet Pluridisciplinaires à Caractère Professionnel (PPCP) en lycée professionnel- ont plaidé en faveur d’une pédagogie du projet. La demande en salles d’ordinateurs, aussi bien pour la recherche documentaire, que pour la rédaction des productions finales, a fortement augmenté, tout comme les budgets liés au papier et à l’encre d’impression.

La  classification des activités d'apprentissage peut s’inspirer de celle proposée par Robert Bibeau :
1. Télécorrespondance scolaire
2. Édition et publication (journaux scolaires, Web magazine, rédaction collective).
3. Recherche documentaire (méthode de travail intellectuel, bibliothéconomie avec Internet, etc.).
4. Recherche et partage d'informations (banque de données collectives, saisie de données en temps réel, télétravail).
5. Résolution de problèmes (concours, création collective, jeux de rôles, laboratoire en ligne, simulation, etc.).
6. Téléformation (cours et didacticiels sur le Web).
http://ntic.org/guider/textes/div/bibtoile.html

Le métier d’enseignant est profondément renouvelé, mais pas seulement en histoire.

D’abord parce les listes de diffusion ont provoqué une mutation profonde dans la circulation de l’information : elles ont atténué le monopole de l’information hiérarchique descendante. Ces listes ont créé un espace pour des échanges que la mise en cause de la formation continuée risquait de faire disparaître.
Le courrier électronique peut également aider à organiser, à distance, le travail de la classe.

Internet est une chance pour ceux qui veulent mutualiser leurs ressources.
Le travail sur ordinateur est également un moyen de pouvoir accompagner le travail des élèves et de mieux observer leurs démarches.
C’est une bonne opportunité pour ceux qui veulent s’interroger sur les pratiques pédagogiques : par exemple, dans la construction des savoirs, quelle est la part respective de l’individualisation et de la socialisation ? Ou encore, quelle place donner au texte et à l’image dans un monde où l’information est de plus en plus façonnée par les images télévisées ? – noter un paradoxe - Internet utilise aussi l’écran, mais surtout pour faire lire et faire écrire…

Au total, Internet rend de multiples services à ceux qui ont appris à s’en servir : communication à distance, accès à une documentation élargie (catalogues des bibliothèques, presse en ligne, comptes rendus d’ouvrages, conférences virtuelles…), élaboration et édition de contenus diffusables sur le réseau, transferts de fichiers ….

Changements dans l’identité professionnelle ?
Dans l’enseignement supérieur, les colloques, les listes de diffusion témoignent des nouvelles compétences acquises par les historiens (voir Internet et le métier d’historien, l’ouvrage  de Rolando Minuti, édité par les PUF. Le texte est accessible en ligne, mais en version italienne…). Les modes actuels d’évaluation de la corporation prennent rarement en compte ces compétences et négligent l’apport des initiatives pionnières.
Dans l’enseignement secondaire, la situation évolue : la mutualisation et l’interactivité animaient l’Internet des pionniers ; les modes administratifs de fonctionnement et de contrôle s’imposent de plus en plus.

Cette introduction modifie-t-elle le temps didactique ?

Utiliser les TICE est parfois présenté par les pionniers comme un moyen de gagner du temps. En fait, concevoir seul une séance devant ordinateur exige beaucoup plus de temps que préparer un cours classique.
Nos collègues nantais ajoutent :
« On sait que la posture traditionnelle de l’enseignant est marquée par l’obsession du temps. On devrait plutôt dire des temps puisqu’il est nécessaire de considérer des temporalités multiples. Pour en rester au quotidien de la classe, on peut citer : le temps du programme segmenté dans la programmation, le temps des séquences, celui des cours, des exercices. […] C’est souvent à l’aune du temps passé, ou du temps à investir que les innovations sont évaluées […] Le travail dans la salle multimédia introduit d’autres dimensions temporelles […] il apparaît alors en contradiction avec le temps segmenté du système scolaire ».
http://www.inrp.fr/Tecne/Savoirplus/Rech40124/Sommaire_01.htm


Le Cartable : Comment faire pour que l'outil informatique utilisé en classe soit au service de la construction par les élèves de compétences historiennes ? Dans quelles circonstances précises des élèves utilisent-ils avec profit l'informatique pour s'approprier de l'histoire ? Ainsi, pouvez-vous décrire et analyser quelques exemples de pratiques qui sont à la fois différentes de ce qu’un enseignant peut mettre en œuvre avec les ressources habituelles et particulièrement favorables à l’apprentissage de la dimension critique, aux activités d’analyse et de synthèse, aux activités d’écriture, à la construction de concepts liés à l’histoire comme celui d’événement, de compétences liées à la maîtrise du temps historique ?

La mesure de l’apport de l’informatique à l’apprentissage de l’histoire, est la question centrale, mais Serge Pouts-Lajus l’a bien montré, c’est « une question impossible ». Impossible, dans la mesure où de multiples facteurs, humains et techniques, sont en jeu. Hervé Bois a tenté de comparer le travail de deux classes similaires, l'une utilisant des outils classiques, l'autre se servant des ordinateurs.
http://www.txtnet.com/ote/impossible.htm
http://hgtice.free.fr/clionautes/hbois.htm

Nos collègues anglo-saxons abordent depuis longtemps cette question :
voir le site du « Journal of the Association for History and Computing » (JAHC), développé par Jeffrey Barlow et ses collègues.
Ou encore ce qui a été écrit sur les « transferable skills » en Angleterre.
http://mcel.pacificu.edu/JAHC/jahcindex.htm

La géographie est en avance sur l’histoire dans ce domaine : en Belgique, les géographes de Liège publient des propositions originales d’activités permettant de développer des « compétences terminales en géographie ». En France, le site de l’AFDG, celui de la revue EspacesTemps donnent une plus grande place à la didactique. Ce qui n’empêche pas Gérard Hugonie de s’interroger : « Pourquoi les recherches didactiques ne modifient-elles guère les pratiques scolaires ? » :
http://www.ulg.ac.be/geoeco/lmg/competences/00/competen.html
http://aphgcaen.free.fr/chronique/hugonie.htm
 

Quels exemples de pratiques spécifiques proposer ?
Il n’est pas question, en quelques lignes, de résumer la multiplicité des pistes explorées par nos collègues, ni d’établir un palmarès des « bonnes pratiques éducatives », encore moins de mettre en concurrence initiatives personnelles et séquences validées par l’inspection.

L’apport des TICE est à chercher avant tout dans la dimension interactive, pas toujours facile à maîtriser en classe : le courrier électronique est ainsi un moyen de prolonger les acquis de la correspondance scolaire. Faire travailler des élèves sur la géographie d’une autre région, en associant livres et courrier, est une bonne source de motivation, et un moyen de personnaliser l’information. De plus, faire évaluer le résultat par une classe dont les élèves habitent l’espace étudié est une occasion de confronter espace vécu et géographie scientifique.

Internet, pour les élèves, c’est aussi l’accès à une partie de la presse, dont les 200 « unes » mise en ligne sur un site américain. Ainsi, en ECJS, la presse est une source importante dans une recherche sur les OGM. Elle permet de faire lire les articles, de faire sélectionner des arguments contradictoires, de les faire présenter dans une synthèse allant au delà du simple copier/coller.

Dans la revue Les Cahiers pédagogiques, Dominique Natanson et de Karine Ansart montrent comment il est possible, en IDD, de « Travailler autrement », sur une production collective « Le grand livre des chevaliers de la Table ronde », et d’utiliser un autre mode d’évaluation, celui des ceintures de compétences (N° 413-414).
Internet peut aussi permettre la tenue de débats à distance, débats dont Nicole Allieu-Mary et Nicole Tutiaux-Guillon pensent possible de « faire un mode d’apprentissage de l’histoire » (n° 400, « Oser l’oral » et n° 401 « Débattre  en classe ») :  http://cahiers-pedagogiques.com/
François Muller a développé un site dédié à la pédagogie diversifiée et à l’évaluation formative. Il consacre une page à la situation-problème (Problem solving des anglo-saxons) : http://francois.muller.free.fr/diversifier/TPE.htm

De nombreuses autres pistes sont en cours d’exploration : utiliser des expositions en ligne (« La Couleur des Larmes », « La crise de Cuba ») ; travailler sur l’image fixe ou animée (« Le quai des images », en particulier par le travail de lycéens sur Banania et l’image des Africains) ; intégrer des extraits vidéo de l’INA, dans un cours, et les confronter aux autres sources (exemple de la Guerre d’Algérie) ; sonder la place du jeu dans l’enseignement de l’histoire (site Ludus, à Caen).

La maîtrise du temps historique ne dépend pas seulement de l’usage des TICE.
Un exemple ponctuel, appliqué à l’histoire de l’art : interroger http://images.google.fr en tapant « Florence 1427 », permet d’accéder à des représentations des œuvres de Brunelleschi, de Masaccio, de Donatello et de faire mesurer la place exceptionnelle de Florence dans la première Renaissance.
http://aphgcaen.free.fr/chronique/florence.htm

Le Cartable : Comment affronter le décalage croissant entre les progrès rapides et constants de l'informatique et l'équipement moyen du corps enseignant et des établissements scolaires ? Ne risque-t-on pas de poursuivre des objectifs illusoires en se situant dans la perspective de ce à quoi tous les élèves d'une classe d'âge auront droit en la matière ?

Cette question néglige l’effort considérable d’équipement qui a été fait ces dernières années. Bien sûr, certains établissements sont en pointe, d’autres à la traîne, les lycées sont souvent mieux dotés que les collèges, les sections techniques plus que l’enseignement général, les séries scientifiques plus que les sciences humaines. Mais il est généralement possible d’accéder à une salle équipée.

La « fracture numérique » suscite des analyses opposées :
Pour certains, cette fracture est une ligne de clivage nouvelle et définitive au sein de nos sociétés riches. Clivage social, culturel, géographique, aggravé par le coût des ordinateurs et des logiciels, par la « facture numérique ».

Pour d’autres, cette fracture ne se limite pas à l’école et à la jeunesse, et elle n’est pas plus décisive que les inégalités qui caractérisent l’accès à l’éducation, à l’emploi ou à la santé. Alain Rallet montre que les technologies de l’information n’effacent pas la fracture territoriale, mais qu’au contraire, elles renforcent le rôle des métropoles et des pôles dynamiques (Sciences Humaines - n°104 - Communication à distance : au-delà des mythes).

Le Cartable : En prolongeant la question précédente, cela fait déjà de nombreuses années que les ‘autorités’ disent vouloir développer l’usage des TICE dans l’enseignement de l’histoire. Or, les enquêtes disponibles montrent que cet usage se diffuse avec beaucoup de lenteur. A quels facteurs attribuez vous ces lenteurs ?

La lenteur transparaît dans un rapport récent de l’Inspection générale, qui sous-évalue probablement la réalité des pratiques dans les classes : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/annexehistgeo.pdf

Un autre rapport récent, établi par une équipe de Nantes pour l’INRP, souligne surtout l’écart énorme entre l’usage personnel généralisé de l’ordinateur par les enseignants et la faiblesse relative de l’utilisation de cet outil en classe. Beaucoup d’enseignants ont acquis, sur leur temps personnel et familial, les compétences multiples nécessaires à notre métier aujourd’hui, mais seule une minorité s’en sert avec les élèves en salle informatique.

Cette étude met en évidence une typologie des styles pédagogiques : « une gradation allant des « pionniers » (ou « experts »), en passant par les « hésitants » (ou « anxieux », voire « inquiets »), jusqu’aux « résistants ». Il est clair que l’usage de ces classifications, sorties du champ scientifique, ne constitue pas seulement des modèles de lecture de l’intégration des TICE mais bien une mesure globale de la culture enseignante propice ou non à l’innovation pédagogique ».
http://www.inrp.fr/Tecne/Savoirplus/Rech40124/Pdf/annee01/nantes01.pdf


Les obstacles semblent assez faciles à identifier :
- Les effectifs : une mise en activité des élèves est pratiquement impossible avec une classe de 35 élèves, à la fois pour des raisons d’équipement, et de difficulté de suivi pédagogique. D’où l’importance décisive des groupes à effectifs réduits, aussi bien ceux de certaines classes de langues, que ceux des modules d’histoire-géographie en seconde, ou du travail de groupe en ECJS. La réussite des TICE en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) tient à la rencontre de ces effectifs adaptés et d'une politique volontariste, qui se traduit dans des programmes exploitant les logiciels de simulation.

- Les directives officielles contradictoires :
En histoire et en géographie, les instructions officielles ont longtemps insisté sur les contenus à survoler ; la pratique des logiciels est considérée comme acquise ; l’absence de volonté politique ne permet pas la mise en place de marchés nationaux qui feraient baisser de façon significative les prix des matériels pour les établissements.

- Le modèle économique : Internet est fondé sur une gratuité contraire aux pratiques et à l’intérêt des éditeurs privés. La numérisation leur sert fréquemment de prétexte pour mettre en place une tarification prohibitive. D’où une crise du logiciel éducatif, aggravée par la médiocrité des rares applications pédagogiques disponibles.

- La question controversée des droits d’auteur, un problème réel et complexe, est la source d’un énorme paradoxe : il est possible d’accéder à de larges extraits d’ouvrages du XIXe siècle, alors que les résultats de la recherche récente, qui mettent très souvent en cause leurs conceptions dépassées, sont rarement mis en ligne dans une forme accessible à nos élèves !

Le Cartable : En ce qui concerne les moyens d'enseignement, pourrons-nous vraiment aller plus loin que des supports-papier enrichis d'un CD-Rom ? Rien ne s’oppose à mettre sur le net une véritable banque de données proposant des séquences pédagogiques, il existe déjà des sites en ce sens, et pas seulement des textes, comme cliotexte ; que pensez-vous de ces premières expériences et quels sont les contenus pertinents qu’il convient d’y mettre pour que la diffusion et l’utilisation dépassent le petit monde des convaincus ?

Cette question en recouvre plusieurs autres, qui ne dépendent pas seulement des utilisateurs :
Quelle histoire veut-on enseigner ?
Quelles sont les attentes et les besoins des professeurs ?
Quelles potentialités la technique offre-t-elle aux pédagogues ?

Le gouvernement français vient d’affirmer sa volonté de piloter et de structurer toutes les initiatives, de fournir en 2007 à chaque élève, chaque enseignant et chaque famille un espace numérique de travail (ENT). Une agence pour la promotion des usages éducatifs effectuera un recensement des « bonnes pratiques éducatives ». Un réseau de vigilance bloquera l’accès aux sites répréhensibles.
http://www.premier-ministre.gouv.fr/fr/p.cfm?ref=39490#3

Du côté des éditeurs, les expérimentations, en cours, sur les cartables numériques et sur les espaces numériques en ligne, suggèrent de grandes manœuvres, destinées à créer un nouveau marché, au croisement de l’éducation et du divertissement (Edutainment). Les productions du groupe de travail E-Education de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération) sont très éclairantes sur cette évolution : http://www.fing.org/index.php?rubrique=ecartable

Le succès croissant d’Internet ne doit pas masquer l’échec relatif de l’enseignement de l’histoire assisté par l’ordinateur. L’intérêt d’un logiciel, c’est soit d’automatiser un apprentissage, soit de traiter des données brutes et d’aider à modifier le regard sur le monde qui nous entoure. Ainsi, en géographie, un logiciel de cartographie statistique donne à VOIR immédiatement une réalité chiffrée ; dans un tableau de chiffres, celle-ci ne serait repérable qu’après une lecture longue et attentive. Nos collègues historiens anglo-saxons ont plus que nous exploré cette dimension : je les ai vus, en 1989, utiliser des bases de données pour enseigner l’Angleterre de Charles I et de Cromwell.


Du point de vue de l’utilisateur, quelles sont les perspectives à moyen terme ?
Dans notre profession habituée à l’individualisme et aux rapports hiérarchiques, la nouveauté apportée par Internet, c’est la mise en réseau et la possibilité d’un travail coopératif. La mutualisation des initiatives est loin d’être complète et générale, mais elle a plutôt bien réussi chez les professeurs d’histoire.

Les séquences pédagogiques en ligne, évoquées dans la question, ont leurs sites spécialisés : Gilles Badufle recense à ce jour 170 sites personnels, Eric Ranguin, Jean-François Carémel ont recensé un volume important de cours et d’exercices. Ces publications, qui témoignent de la démocratisation de l’écriture hypertexte, ont trouvé leur public. Mais l’offre reste très en deçà de ce qui est proposé par nos collègues anglais, dont ceux de Schoolhistory :
http://www.schoolhistory.co.uk/

Dans une toile pédagogique utopique mais soucieuse des besoins des utilisateurs, plusieurs pistes seraient à explorer : contribuer à la diffusion de la recherche historique, suggérer de multiples pistes pédagogiques, fournir des outils élaborés. Sur ce dernier point, prenons l’exemple des données statistiques : entre la citation très partielle dans les manuels et l’accès payant à certains sites spécialisés, la mutualisation des ressources ferait gagner beaucoup de temps. D’une manière générale, l’essentiel n’est pas d’accéder à tous les textes, à toutes les images, mais de pouvoir accéder rapidement à un petit nombre de documents pertinents et de pouvoir les exploiter sans enfreindre le droit en usage.

Mais cela supposerait trois changements importants :

- Poursuivre la rupture en cours avec un enseignement obsédé par le récit et le survol global.
En effet, si l’essentiel, en histoire, est bien dans le questionnement du passé -en fonction de notre présent- , dans l’éveil de la curiosité, dans la formation de l’esprit critique, alors les applications en ligne ne devraient pas se limiter au récit unique de beaucoup de manuels. unique. Elles pourraient faire une place plus grande aux débats entre historiens. Ce sera bientôt possible en terminale ES et L à propos des « mémoires de la seconde guerre mondiale » (à comparer avec les neuf lignes factuelles sur le sort des Juifs dans un manuel de 1965). Apprendre la diversité des approches, n’est-ce pas un des moyens de former les citoyens d’une démocratie pluraliste ? ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/bo/2002/hs7/sesl.pdf

- Exploiter les potentialités offertes par le multimédia.
En ce moment, le manuel bénéficie d’un monopole de fait. Il devrait être, tout à la fois, mise au point scientifique, base documentaire, cahier de travaux dirigés, livre d’images… La réalité est plus complexe. Il semble possible de fournir de nouveaux outils, exploitant mieux la spécificité de chaque média. Mais cela implique une politique volontariste d’édition, soucieuse de faire coopérer l’ensemble des professionnels, et non pas un repli frileux derrière une interprétation excessive des droits d’auteur. Nos collègues de SVT montrent la voie, dans une discipline où les simulations sont indispensables.
Dans l’immédiat, en attendant la mise en place d’une telle production, il pourrait être utile de s’inspirer du travail de nos collègues étrangers, de traduire, ou mieux, d’adapter certaines de leurs réalisations pionnières.

- Fédérer toutes les initiatives pour alimenter enfin de façon significative la toile pédagogique francophone. Dans les conditions actuelles de travail, le travail de l’enseignant reste un travail artisanal, reposant largement sur la collecte et l’exploitation d’outils divers conçus pour d’autres publics. Internet fournit les moyens de modifier cette situation héritée. A voir l’énergie présente sur le réseau, il est  possible
d'amplifier la mutualisation des démarches et des ressources, pour le bénéfice de tous. Mais l’expérience des radios libres associatives incite à la prudence : les initiatives locales n’ont pas résisté longtemps devant la pression des intérêts commerciaux.

Daniel Letouzey – 22/09/2003 

Le cartable de Clio :
Le numéro 2004 comprendra un Dossier: L'histoire orale et le témoin en classe d'histoire
Pour les années suivantes, sont prévus :
2005 Dossier: "Je nous et les autres": l'identité et l'altérité à travers l'histoire
2006 Dossier: Les échelles de l'histoire, à travers le temps, d'ici et d'ailleurs
2007 Dossier: Concepts, modèles et récits: qu'est-ce que l'histoire enseignée?