France - 1919 - Les Traités de Paix vus par le capitaine De Gaulle
25 juin 1919

Ma bien chère Maman

Voici donc la paix signée. Il reste à la faire exécuter par l'ennemi,
car tel que nous le connaissons, il ne fera rien, il ne cédera rien, il ne paiera rien,
qu'on ne le contraigne à faire, à céder, à payer,
et non pas seulement au moyen de la force, mais bien par la dernière brutalité.
C'est le seul procédé à employer à son égard.
Ses engagements sont une fumée, sa signature une mauvaise plaisanterie.


Heureusement nous tenons. et il nous faut absolument garder, la rive gauche du Rhin.
Les motifs d'y demeurer ne manqueront certes pas, car je ne crois pas une seconde
à des paiements sérieux d'indemnités de la part de l'Allemagne.
Non pas certes qu'elle ne puisse payer, mais parce qu'elle ne le veut pas.


Nous allons donc nous heurter de suite à toute cette science de chicanes gémissantes,
de délais prolongés, d'entêtements sournois, qui est la plus claire aptitude de cette race.
Nous avons éprouvé cette science à mainte occasion, et notamment à propos de chacun des articles
du traité d'armistice qu'il fallut plusieurs interventions impatientées du maréchal Foch
pour faire exécuter à peu près.


Seulement nous n'allons plus avoir à brandir d'épée flamboyante,
avec nos troupes démobilisées, et celles de nos alliés rentrées chez elles.
Au fur et à mesure des années, l'Allemagne se redressant deviendra plus arrogante,
et finalement ne nous paiera pas à beaucoup près ce qu'elle nous doit.
Il faut craindre du reste que nos alliés ne soient d'ici à très peu de temps nos rivaux
et ne se désintéressant de notre sort. La rive gauche du Rhin devra nous rester.


Charles De Gaulle. Lettres, notes et carnets (1919-1940). Plon, 1980.

in Hachette, Histoire, 1ere, ed 1982, p 52