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Enseigner l'histoire de l'art ?
 

   "L'école apprend à lire et à écrire, elle n'enseigne pas à voir"

Le 15 septembre 2009, à la Sorbonne
Pierre Rosenberg a visité beaucoup d'éléments qui sont familiers aux profs d'aujourd'hui.
Il a aussi répété une nouvelle fois cette formule fausse et choquante.

Faute d'avoir obtenu la création d'une Agrégation d'histoire de l'art, 
il épingle les dernières instructions officielles,
il stigmatise le travail des profs de Lettres ou  d'Histoire,
(en prenant pour argument une déception cuisante de Mona Ozouf, 
élève de CM2  à propos du Serment du Jeu de Paume (en 1942 ?).

Il évoque avec regret le parcours de l'Italie depuis 1923,
et demande la création de Capes doubles (histoire-histoire de l'art, lettres-hda)
tout comme une licence obligatoire d'enseignement d'histoire de l'art.

Transcription sur le site de Didier Rykner


Demain, nos musées seront-ils vides ?

L’enseignement de l’histoire de l’art devrait être obligatoire dès le secondaire avec une agrégation spécifique pour le corps professoral.
Par Pierre Rosenberg - Libération : mardi 3 juillet 2007
http://www.liberation.fr/rebonds/264815.FR.php

On apprend à lire à l’école. On n’apprend pas à voir. Depuis des décennies, les historiens de l’art, unis sur ce point, se battent pour que l’histoire de l’art soit obligatoirement enseignée dans le secondaire (c’est de longue date le cas en Italie). Plusieurs déclarations du Président de la République leur ont donné grand espoir. Mais qu’est-ce que l’histoire de l’art ? Je ne tenterai pas une définition, mais répondrai à la question par un exemple.
Vous êtes lycéen à Chartres. Pourquoi, pendant un an, ne pas enquêter sur la cathédrale ? Les modalités de sa construction, la rapidité du chantier, pourquoi à Chartres ? L’origine des pierres ? Qui payait ? Y avait-il un architecte ? Qui le choisissait ? Que veut dire le terme gothique ? Comment et où étaient formés les sculpteurs ? Qui dessinait les vitraux ? La composition chimique de leurs couleurs, que représentent-ils et pourquoi ces sujets ? Les incendies successifs, que sais-je encore. Les approches sont innombrables qui toutes devraient éveiller la curiosité des élèves.
On objectera que toutes les villes de France n’ont pas la chance de posséder un Chartres. À la vérité, si. Chaque village, chaque agglomération, chaque quartier conservent un monument, un bâtiment, civil ou religieux, ancien ou récent, devant lequel passent, sans lever les yeux, les lycéens, chaque commune a sa grotte, ses allées, son donjon, sa tour, ses œuvres d’art antiques ou contemporaines, son chef-d’œuvre célèbre ou méconnu et bien trop souvent ignoré. L’expliquer, en faire découvrir l’histoire, les conditions de sa création, qui en fut le commanditaire, mécénat public ou privé, comment fut-il reçu en son temps par l’opinion, ce qui en fait une œuvre unique, en un mot ouvrir les yeux à sa beauté (un terme qui en France fait peur), voilà ce qu’est l’histoire de l’art (bien sûr je n’ignore pas que l’histoire de l’art c’est Caravage et Picasso, Giotto et Rembrandt, Versailles et le Louvre, les pyramides et la Grande Muraille de Chine, le patrimoine de la France, mais aussi les civilisations proches ou lointaines dans le temps comme dans l’espace).
Mais, dira-t-on, beaucoup n’est-il pas déjà fait ? Les initiatives publiques et privées sont nombreuses, services éducatifs, visites de musées par les scolaires, excursions, etc. et leur importance n’est nullement négligeable. Il n’en est pas moins vrai que manque l’essentiel, un enseignement délivré par des historiens de l’art.
Il n’existe pas en France, on l’ignore souvent, d’agrégation d’histoire de l’art et il y a peu de chance, soyons réaliste, qu’une telle agrégation autonome voit le jour dans un proche avenir. Actuellement, les enseignants d’histoire de l’art du supérieur sont en grande majorité agrégés, mais de lettres ou d’histoire. Une solution plus simple existe : une forte option (une «dominante») histoire de l’art, dont la préparation serait assurée dans les départements d’histoire de l’art des universités, accompagnerait les agrégations d’histoire ou de lettres modernes.
On me fera remarquer qu’il existe une agrégation d’arts plastiques. Ce serait une grave erreur d’y rattacher une option histoire de l’art. Les arts plastiques éveillent à la création, l’histoire de l’art apprend à regarder. Ce sont deux démarches contradictoires. L’essentiel, et c’est le point sur lequel la communauté des historiens de l’art ne pourra pas céder, c’est que cet enseignement, quelles que soient ses variantes, ses modalités, sa pratique, soit le fait d’historiens de l’art formés à cet effet, le fait de professionnels. L’immense succès des musées et des expositions dont on ne peut que se réjouir est un leurre, un trompe-l’œil. Il ne bénéficie qu’à une minorité: celle dont les parents auront régulièrement traîné leurs enfants (pour leur plaisir, mais aussi parfois non sans résistance) dans les musées. Si l’on veut démocratiser la culture, donner accès à tous aux œuvres d’art, procurer cet émerveillement qui accompagnera par la suite une existence entière, si l’on veut ouvrir les yeux à la beauté (je me répète) et que demain musées et palais, églises et châteaux soient encore visités (et ne deviennent pas des cimetières), il faut que l’histoire de l’art soit enseignée dans les lycées, il n’y a aucune autre solution. «C’est avec les enfants que tout se joue» (Nicolas Sarkozy).


Commentaire personnel :

- Des musées vides ?
Evitons l’hypocrisie : les classes sont encore présentes dans les musées,
même si l’organisation et le financement de ces visites sont de plus en plus difficiles.

Pour répondre sur le même terrain que P Rosenberg, pourquoi l’actuel patron du Louvre a-t-il supprimé l’entrée des enseignants sur présentation de la carte professionnelle ? Parce qu’il préfère financer des campagnes de promotion afin de faire venir au musée de nouveaux jeunes " consommateurs " …
Le paradoxe, c’est que dans le même temps, de nombreuses municipalités ont instauré la gratuité d’accès à leur musée des Beaux-Arts.
 

>> On apprend à lire à l’école. On n’apprend pas à voir.
La formule est frappante, mais fausse.
Sauf à être de mauvaise foi, ou à tenir le discours des déclinistes patentés.
Fausse pour la Renaissance.
Fausse pour l’Impressionnisme.
L’histoire de l’art fait partie des programmes d’Histoire, de Lettres (et d’Arts plastiques). 
Certains élèves ont croisé Ambroise Vollard en première, d’autres Albert Barnes et sa Fondation.

Pourquoi les auteurs de ces points de vue pensent-ils toujours en terme de table rase, au risque de donner l’impression de ne pas avoir cherché à se renseigner sur ce qui se fait concrètement dans les classes ?
 

Pour une minorité d’élèves, il existe une option " Histoire des arts " : http://www2.educnet.education.fr/histoiredesarts/
>> Vous êtes lycéen à Chartres. Pourquoi, pendant un an, ne pas enquêter sur la cathédrale ?
L’exemple de Chartres (Véronique de Montchalin et ses collègues) :
http://clioweb.free.fr/art/arts.htm

" Le vitrail du Bon Samaritain, forme et sens "
http://www.educnet.education.fr/arts/histoire/textes/toursvdemontchalin.htm

>> On objectera que toutes les villes de France n’ont pas la chance de posséder un Chartres
Pour Clamecy, voir le travail de Cécile de Joie et de ses collègues.
http://lyc58-romain-rolland.ac-dijon.fr/Pedago/HDA/HDA.htm
ou http://aphgcaen.free.fr/chronique/392/aphg392.htm#clamecy

> Une solution plus simple existe : une forte option (une "dominante") histoire de l’art, dont la préparation serait assurée dans les départements d’histoire de l’art des universités, accompagnerait les agrégations d’histoire ou de lettres modernes.
Bien sûr, tout ceci n’est pas enseigné par des Agrégés en histoire de l’art.
Bien sûr, le sort des étudiants en histoire de l’art, leurs débouchés professionnels méritent un examen sérieux.
Mais l’histoire des arts, n’est-ce pas aussi de l’histoire, une histoire profondément renouvelée par les deux générations précédentes ? 
Un dernier " détail " dans une " Histoire de peintures ", pour parler comme le regretté Daniel Arasse : 
L’entrée au Louvre, aussi bien le musée et que le site http://www.louvre.edu , est payante.
Le Web Gallery of Art, le site exceptionnel créé par Emil Kren et Daniel Marx, est en accès gratuit.
A découvrir de toute urgence.
http://www.wga.hu/
 

NB - Mai 2011 : Les mêmes arguments, exactement les mêmes (Mona Ozouf face aux images en CM, en 1938) ont été repris dans un entretien avec E Laurentin dans La Fabrique de l'Histoire.
l'émission au format mp3

Daniel Letouzey -2007 - 2011
http://clioweb.free.fr