Erreurs et traitement des erreurs dans le cours de géographie Gérard Hugonie L’information géographique - 4, 2002 article de 2002 numérisé en juin 2016 http://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_2002_num_66_4_2831
Les erreurs, un outil
pour progresser
en géographie " L’erreur n’est pas un échec ou une faute [cf le passage en orthographe, de faute à erreur]. p 358 : Elle est plutôt une divergence, une contradiction… L’erreur devient intéressante et utile par là même dans le processus de construction du savoir, parce que si l’on peut repérer l’élément du raisonnement qui bloque ou qui fait diverger l’élève, on peut intervenir à cet endroit-là, et aider 1’ élève à rapprocher son fonctionnement mental de celui qui lui est demandé dans l’exercice, afin de surmonter l’obstacle didactique et lui permettre de progresser ainsi dans la discipline. " " Il est ensuite possible de réfléchir avec l’élève aux raisons qui l’ont conduit à formuler cette réponse non-pertinente, divergente ou contradictoire, afin d’essayer de mettre à jour la logique qui sous-tendait sa réaction, l’enchaînement de facteurs qu’il a établi, ce qui met partiellement à jour son fonctionnement mental, ses habitudes explicatives, ses biais, ses représentations mentales sur le sujet étudié. " […] " A partir de là, l’enseignant peut rechercher avec l’élève les moyens de dépasser les divergences, les contradictions, les insuffisances de raisonnement repérées. Par exemple en rédigeant des consignes plus explicites […] Le professeur va par exemple décomposer l’exercice de comparaison de deux cartes en plusieurs opérations simples, mettant en regard un élément bien localisé de chaque carte à chaque fois ; ou il va suggérer à l’élève de ne pas reproduire des démarches stéréotypées, et d’oser proposer par lui-même des explications, quitte à tâtonner et faire plusieurs essais. " " Alors l’erreur devient pour l’élève un levier qui lui permet de progresser dans le raisonnement géographique, avec une meilleure conscience de ce qu’il fait, de progresser aussi dans la connaissance de soi-même et de sa façon de résoudre des problèmes. L’erreur n’est plus une faute, un échec ; "elle devient créatrice au lieu d’être destructrice " (J.-P. Astolfi, 1997). " " Une telle démarche didactique est fondamentale aussi sur le plan pédagogique et civique. Au lieu d’opposer d’un côté un professeur qui détient le savoir et la vérité et de l’autre un élève qui ne sait pas et commet des erreurs, voire des "fautes ", on trouve côte à côte un enseignant qui cherche à comprendre ce que fait l’élève, lui fait confiance, lui reconnaît une logique minimale, qui admet que le savoir géographique n’est pas évident, n’est pas dénué d’ambiguïtés; et un élève qui est incité à progresser dans la compréhension des faits spatiaux, par une série de tâtonnements guidés, comme un sportif qui veut atteindre au mieux un objectif. De négation et source d’angoisse pour l’élève, l’erreur devient alors facteur de progrès. " L’article passe en revue plusieurs types d’erreurs : - Les erreurs factuelles, qui posent le problème du statut de la mémorisation et de ses conditions. - Les erreurs d’analyse d’un paysage ou d’un espace : 2 exemples, " voir "
le relief sur une photo,
mettre en évidence des discontinuités. - Les erreurs dans les mises en relation : Exemples
densité de population et littoraux,
densité et relief. - Les erreurs d’interprétation : Exemples : Les EU, l’essor de la Sun Belt et les facteurs naturels ; " les régions polaires sont peu peuplées parce qu’il y fait froid " ; plateaux étagés et tectonique des plaques (pb du choix d’échelle). Gérard
Hugonie souligne l’importance
des représentations préalables des
élèves sur
le sujet, (et la nécessité de faire
émerger ces
" représentations obstacles " en cours. Pour beaucoup
d’élèves,
la géographie, c’est d’abord le climat
et le relief. Ecart énorme
avec la " nouvelle " géographie… [un exemple
perso : pourquoi quitte-t-on
le Nord -Pas de Calais ? A cause du climat, répond une
élève
normande ! Difficile, voire impossible de combattre la liaison Sun Belt
- attrait du climat… Il évoque aussi le poids des schémas simplistes véhiculés par les médias, et répétés à l’infini. Et constate que " les élèves des milieux favorisés " penseront d’abord à des facteurs " neutres " (les facteurs physiques ou démographiques) et oublieront des explications socio-économiques, même quand elles sont plus pertinentes. Enfin, " Reconnaissons que les raisonnements, les enchaînements explicatifs, les procédures de validation dans la géographie universitaire et scolaire sont souvent élémentaire et assez discutables ". - Les erreurs tenant au vocabulaire de base. " La faible
maîtrise du vocabulaire de base
rend difficile la compréhension des consignes ". Voir aussi son article dans Historiens & Géographes (n° 364), sur " la maîtrise de repères géographiques " (les exemples concernent la végétation, les climats…). Impression d’un gâchis relatif : " les mêmes termes, les mêmes lieux (sont) mal identifiés, mal mémorisés de la sixième à la terminale, malgré des apprentissages répétés. [Cela change-t-il vraiment avec l’université ? lire les rapports des concours … " A
vouloir trop couvrir, n’aboutit-on pas
à tout survoler et à ne rien assurer ?
[…] S’ils
paraît nécessaire que les
élèves acquièrent
des repères spatiaux fondamentaux, il faut s’en
donner les moyens
en temps et en méthodes adaptées ". " On ne peut
réfléchir,
établir des relations simples ou complexes, expliquer des
mécanismes
à partir de faits mal définis, mal
localisés, de termes
flous … (et sans savoir)à quoi ils servent.
Malgré des progrès
certains, il reste des efforts à faire pour adapter les
programmes
et les méthodes aux objectifs affirmés ". [Mon commentaire personnel, de "non-géographe" : Les
analyses de Gérard Hugonie
sont très intéressantes, et leur mise en pratique
améliorerait
sans aucun doute l’efficacité de notre
enseignement. 1
- La démarche de Gérard
Hugonie à propos de "la maîtrise des
repères géographiques"
pourrait être étendue à d'autres
éléments. 2
- Il met utilement l’accent sur
la marque des différences sociales et culturelles.
3 - Il est aussi très lucide sur le fonctionnement de la géographie et des géographes, sur l’impact des programmes et des instructions officielles. . Tout à fait d’accord avec l’hypocrisie d’exiger des élèves la maîtrise d’outils et de connaissances qu’ils n’ont pas étudiés dans les classes précédentes, ou pas suffisamment approfondis. . " A
vouloir trop couvrir, n’aboutit-on pas à tout
survoler et à
ne rien assurer ?" 4 - Peut-être serait possible de souligner davantage la diversité des approches géographiques, entre les géographes universitaires, entre les niveaux d’enseignement … Et pas seulement de glisser d'une mode à l'autre (le Pacifique, nouveau centre du monde, vers 1987, l'environnement et le développement durable aujourd'hui) En histoire, la prise en compte de cette diversité semble plus marquée en Angleterre : l'accent est davantage mis sur le "point de vue" (le biais, le "bias" anglais) choisi par l'auteur du document, et sur les différentes lectures d'un même événement. Il est vrai que les sujets traités sont plus délimités, plus approfondis, par des élèves qui ont choisi la discipline. 5 - Autre symptôme de "divergence" à réduire, l'actuelle étude de documents au bac : Trop
d'élèves abordant
cette épreuve oublient d'utiliser ce qu'ils ont appris sur
le sujet. Certains
collègues critiquent
la philosophie de l'épreuve, la
légitimation de la paraphrase
affaiblie par le niveau de langue. Seule concession, le très
"hypocrite"
"y compris de manière critique" que les
élèves, dans
leur majorité, ne savent pas ou n'osent pas exploiter.
6 - L’article fait allusion à deux reprises aux modules, et à la nécessité d'effectifs réduits en classe pour "traiter" les erreurs des élèves. En lycée, l'histoire et la géographie sont généralement enseignées en classe entière. Difficile d'assurer un suivi individualisé dans une classe de première ou de terminale avec 36 élèves. Difficile d'exploiter les possibilités de l'informatique pédagogique. Le cours magistral a encore de beaux jours. Les groupes de
modules en seconde
permettent les approches suggérées par
Gérard Hugonie. Les travaux de Gérard Hugonie mentionnés dans cet article : (1985),
"Les adolescents de 13 à
16 ans et la géographie", Historiens et
Géographes, n°
304, p. 933-964 Ne pourrait-on pas envisager, chez les éditeurs, ou chez les responsables de l'éducation, dans le cas d' articles " d’utilité publique " comme celui-ci, des formes plus souples de mise à disposition ?
DL 25/01/2003 |