Pourquoi les recherches didactiques ne modifient-elles guère les pratiques scolaires ?
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Beaucoup de chercheurs et d’enseignants se plaignent à juste titre que les acquis de la recherche en didactique de l’Histoire-géographie ne trouvent guère leur application dans les pratiques scolaires, sur le terrain. Les quelques innovations repérées dans les pratiques scolaires relèvent d’ailleurs plus des recherches pédagogiques générales, a-disciplinaires, sur les processus d’apprentissage (importance des objectifs, de la mise en activité des élèves, des situations-problème, modalités de la construction des concepts, utilisation des représentations mentales) que des recherches proprement didactiques, centrées sur les modes d’apprentissage spécifiques d’une discipline, ici l’histoire et la géographie. Cette faible influence des recherches didactiques sur les pratiques scolaires pose question. Mais au-delà d’une série d’explications bien connues, il faut peut-être affirmer, après d’autres chercheurs et spécialement P. Perrenoud dans plusieurs de ses ouvrages (La formation des enseignants entre théorie et pratique, L’Harmattan, 1994), qu’il est normal et sans doute nécessaire que le passage de la recherche didactique aux pratiques de classe ne soit pas simple et automatique, sur le mode de l’appplication de résultats bruts, car les finalités, les postures, les modes de fonctionnement de l’enseignant et du chercheur en didactique sont très différents, même s’ils visent l’un et l’autre à rendre plus pertinents les apprentissages scolaires. Quelques propositions seront cependant
faites à la fin pour permettre une diffusion plus importante des
quelques acquis de la recherche didactique.
1- Tout d’abord six séries
de facteurs bien connus interfèrent pour limiter le transfert
des acquis de la recherche didactique dans les pratiques scolaires en histoire-géographie
1.1- La faible diffusion des recherches didactiques en histoire-géographie Les chercheurs en didactique de l’histoire-géographie sont peu nombreux, entre une vingtaine et une centaine selon les critères retenus ; Les thèses en didactique de l’histoire-géographie sont encore moins nombreuses, une trentaine peut-être depuis 30 ans, et elles ne sont guère diffusées ; Les rapports de recherche de l’INRP sont vendues à quelques dizaines d’exemplaires ; Les actes de colloque et les articles
de quelques revues comme celle des IREGH, L’Information géographique,
Historiens et Géographes, tel ou tel numéro spécial
des revues géographiques nationales ou régionales ne touchent
que quelques centaines de personnes sur les 40 000 professeurs de l’enseignement
secondaire, les 300 000 professeurs de l’enseignement primaire.
1.2- Une demande assez faible de la part des enseignants Après une période
d’inquiétude didactique, épistémologique et pédagogique
des enseignants dans les années 80, beaucoup d’entre eux sont revenus
à une conception très classique de leur métier :
Dans cette posture, l’important
reste le savoir à acquérir, conçu comme un empilement
de données,
Par ailleurs, beaucoup d’enseignants avaient espéré trouver dans les recherches didactiques des années 80 des solutions immédiates à des problèmes pédagogiques et sociaux liés à la massification de l’enseignement en collège puis en lycée, à l’évolution du comportement des élèves dans un contexte de crise économique, sociale et culturelle. Dans la mesure où ils ont
vite constaté que les recherches didactiques ne pouvaient pas répondre
à ces problèmes pédagogiques et sociaux, ils les ont
délaissées
Or les recherches didactiques proposent des activités, des progressions , des notions souvent en marge de ces programmes, dont les fondements épistémologiques et pédagogiques sont quelquefois très discutables. Elles intéressent alors peu la majorité des professeurs. Enfin, l’intérêt pour
des recherches didactiques suppose un minimum de formation ou d’initiation
dans ce domaine, ce qui a été rare jusqu’à la création
des IUFM en 1990.
1.3 Une faible demande de l’institution, ministère, inspection Une grande partie des cadres de l’Education nationale partage les conceptions scientifiques et disciplinaires des enseignants de base, et privilégie spontanément la réflexion sur le savoir plutôt que sur les modalités de son acquisition. Plus que les professeurs encore, les cadres de l’Education nationale se préoccupent d’abord de la mise en œuvre et de l’application des programmes nationaux, et beaucoup moins de recherches originales, mais marginales par rapport aux pratiques scolaires préconisées officiellement. D’autant plus que des recherches authentiques sont longues, alors que la valse des ministres et équipes ministérielles a entraîné des changements de programmes fréquents ces dernières décennies, qui empêchaient de s’appuyer sur des enquêtes et des réflexions sérieuses. Enfin, le ministère ou les
inspecteurs préfèrent utiliser leurs propres équipes
d’observateurs pour des enquêtes courtes et rapides plutôt
que de faire appel à des chercheurs qui revendiquent l’autonomie
de leurs problématiques et de leurs objets de recherche, que ce
soit à l’INRP ou dans les Universités et IUFM.
1-4- Un problème de lisibilité et de compréhension des recherches didactiques Les recherches didactiques sont
à la confluence de réflexions sur le savoir disciplinaire
lui-même,
Elles utilisent donc légitimement des langages spécialisés, des concepts, des références, des procédures relevant de champs du savoir qui ne sont pas maîtrisés a priori par les professeurs d’histoire-géographie. La simple lecture d’articles de didactique peut leur sembler difficile, voire insupportable. Plus difficile encore est pour eux la compréhension des enjeux du problème posé, des arrières-plans théoriques, des références évoquées. De là à conclure que
ces recherches ne sont que jargon, peu utiles pour l’enseignement, il n’y
a qu’un pas.
La conséquence de ces problèmes
de lisibilité des ouvrages de recherche didactiques a été
souvent une dénaturation des résultats des travaux lorsqu’ils
étaient appliqués dans les classes et généralisés
dans les pratiques scolaires. cf l’utilisation des représentations
mentales des élèves, des situations-problèmes, etc.
1.5- Un problème de thématique des recherches, Si l’on exclut les recherches-actions
et les récits d’expériences menées en classe, qui
essayaient de résoudre rapidement un problème ponctuel de
mise en œuvre d’un programme, les recherches universitaires en didactique
de l’histoire et géographie se sont intéressées surtout
à l’analyse de séquences de cours : " comprendre comment
cela fonctionne",
Dans ces travaux, la posture des chercheurs est plus celle d’une observation , d’une analyse rigoureuse des procédures d’apprentissage que la recherche de solutions aux problèmes concrets que rencontre un enseignant lorsqu’il mène une séquence de cours. Les enseignants se lassent vite
de ces observations et réflexions épistémologiques
ou pédagogiques générales
1.6- Un problème de validation et généralisation des recherches D’autant plus que, faute de moyens,
de temps et de maîtrise des procédures de validation des protocoles
d’observation et d’enquêtes ,
P. Perrenoud pense même qu’ " il n’existe pas aujourd’hui en sciences humaines d’acquis théoriques dont la maîtrise suffirait pour enseigner efficacement, qu’une partie des connaissances théoriques sont fragiles, peu sujettes à la vérification strictement expérimentale ", et que les enseignants doivent fonctionner à l’intuition, à l’expérience. Il manque terriblement un début
de synthèse des acquis de la recherche en didactique de l’histoire
et de la géographie, au moins au niveau de l’enseignement secondaire,
une synthèse qui afficherait clairement les points forts de la réflexion
des didacticiens,
Bref, des acquis peu nombreux, peu
connus, qui ne répondent que partiellement aux demandes des enseignants,
Il y aurait là un constat
d’échec pour les recherches didactiques en histoire et géographie.
2- Une distance nécessaire entre recherche didactique et pratique scolaire En effet, le chercheur en didactique et l’enseignant dans sa classe n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes contraintes, ni les mêmes méthodes, ni les mêmes postures, comme l’ont bien montré Perrenoud et d’autres observateurs. 2.1 – La posture du chercheur en didactique Le chercheur en didactique, comme
tous les chercheurs, commence une enquête en délimitant un
objet précis qui lui paraît intéressant dans les procédures
d’apprentissage, en fonction d’une problématique appuyée
sur un corpus théorique, des questionnements antérieurs,
Il écarte d’emblée
une bonne partie des éléments qui se combinent dans les séquences
d’apprentissage pour mieux observer son objet précis.
Par ailleurs, le chercheur n’est
pas lié étroitement :
Ses seuls exigences sont les réponses
aux questions qu’il se pose et la rigueur des procédures qu’il met
en œuvre,
Il vaut mieux même qu’il se dégage des schémas de pensée et des questions qui ont cours dans l’institution scolaire, qu’il recherche une " rupture " épistémologique " pour ne pas être prisonnier d’habitudes, de préjugés, de biais répétés, ce qui le conduit souvent à être en décalage par rapport aux besoins des enseignants de base, à leurs préoccupations. En outre, le chercheur aboutit souvent
à des résultats ambigus,
Le chercheur doute plus qu’il n’affirme,
et dit Perrenoud, " le doute systématique ne s’impose nullement
comme mode prioritaire d’appropriation des connaissances.
2.2- La posture de l’enseignant Toutes ces attitudes qui caractérisent
la posture du chercheur sont à l’opposé des besoins de l’enseignant
lorsqu’il aide des élèves à construire leur savoir.
Il ne peut pas prendre le risque
de trop de tâtonnements dans les activités proposées
aux élèves,
Il doit constamment composer entre
des exigences de rigueur épistémologique et didactique et
la gestion concrète du groupe-classe, " bricoler " dit Perrenoud,
admettre de passer plus vite sur un aspect, quitte à accepter des
activités très discutables, pour mieux mettre l’accent sur
un autre point.
Bref, l’enseignant ne peut appliquer ou transposer telles quelles des recherches didactiques qui n’ont pas le même objectif, les mêmes contraintes, les mêmes exigences, et ne peuvent lui apporter que des éclairages ponctuels qu’il doit recontextualiser pour les rendre opérationnels. Un travail difficile, risqué,
et qui supposerait une formation.
2 .3 Des risques certains Car le professeur qui veut appliquer
les résultats des recherches didactiques prend des risques importants,
Il se met en porte à faux
par rapport à ses pratiques habituelles, à ses repères,
à sa professionnalité,
Il doit repenser seul tout un enseignement,
s’il ne veut pas faire un patchwork d’éléments nouveaux et
anciens mal articulés.
Beaucoup de professeurs hésitent,
puis abandonnent au premier échec.
Conclusion : Au total, s’il ne faut pas s’étonner ni se scandaliser du hiatus entre la recherche didactique et la pratique scolaire en histoire et géographie, ne pourrait-on au moins essayer d’établir des passerelles entre l’une et l’autre pour éviter un divorce total ? pour renouveler quand même les pratiques scolaires, éviter les routines ? Il faudrait d’abord s’attacher à une meilleure diffusion des travaux de recherches didactiques en histoire –géographie. D’autre part, c’est le rôle des formateurs en formation initiale et continue, des chercheurs encore chargés de classe que de montrer concrètement aux autres professeurs comment des acquis ponctuels des recherches peuvent être mis en œuvre dans le cadre de cours " banals " respectant dans leurs grandes lignes les programmes en vigueur et les règles minimales d’une bonne gestion des classes ; de montrer comment ces recherches donnent une nouvelle dynamique, une pertinence plus grande aux procédures d’apprentissage. Il faudrait aussi promouvoir une véritable initiation aux problématiques, au vocabulaire, aux procédures des recherches pédagogiques, didactiques, psychologiques, nécessaires pour comprendre l’acte d’enseignement d’une discipline donnée. Il faudrait enfin élaborer et publier largement un premier bilan bien articulé et pondéré des acquis des recherches didactiques déjà réalisées, en montrant concrètement comment elles peuvent permettre de bâtir des séquences d’apprentissage pertinentes et réalistes dans les cadre des programmes en vigueur. Consulter 2
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