Les convictions républicaines de Victor Hugo en 1848.

Quel est le républicain, de celui qui veut faire aimer la République
ou de celui qui veut la faire haïr? 


Si je n’étais pas républicain, si je voulais le renversement de la République, écoutez :
Je provoquerais la banqueroute ; je provoquerais la guerre civile ; j’agiterais la rue; je mettrais l’armée en suspicion; je mettrais la garde nationale en suspicion ; je mettrais le pays lui-même en suspicion ; je conseillerais le viol des consciences et l’oppression
de la liberté ; je mettrais   le pied sur la gorge au commerce, à l’industrie, au travail ;
je crierais: mort aux riches ! Je provoquerais l’abolition de la propriété et de la famille ; je prêcherais le pillage, le meurtre,  le massacre ; je réclamerais un Comité de Salut Public. 

En faisant cela, savez-vous ce que je ferais ?
Je détruirais la République

Que fais-je ? Tout le contraire. 
Je déclare que la République veut, doit et peut grouper autour d’elle le commerce,
la richesse, l’industrie, le travail, la propriété, la famille, les arts, les lettres, l’intelligence, la puissance nationale, la prospérité publique, l’amour du peuple
et l’admiration des nations. 

Je réclame la liberté, l’égalité, la fraternité, et j’y ajoute l’unité. 
J’aspire à la république universelle. 
Savez-vous à qui il faut dire : « Vous n’êtes pas républicain ? ».
C’est aux terroristes.

Vous venez de voir le fond de mon cœur
Si je ne voulais pas la République, je vous montrerais la guillotine dans les ténèbres ;
et c’est parce que je veux la République que je vous montre dans la lumière la France libre, fière, heureuse et triomphante.

Victor HUGO, Choses vues 1848
in Nathan manuel de 2de1987 p 239

voir aussi

VICTOR HUGO À SES CONCITOYENS  (vers la mi-mai 1848)

Mes concitoyens,

Je réponds à l’appel des soixante mille électeurs qui m’ont spontanément honoré de leurs suffrages aux élections de la Seine. Je me présente à votre libre choix.

Dans la situation politique telle qu’elle est, on me demande toute ma pensée. La voici :

Deux républiques sont possibles.

L’une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne, jettera bas la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira l’institut, l’école polytechnique et la légion d’honneur, ajoutera à l’auguste devise : Liberté, Égalité, Fraternité, l’option sinistre :
ou la Mort ; fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit,
qui est la fortune de tous, et le travail, qui est le pain de chacun, abolira la propriété et la famille, promènera des têtes sur des piques, remplira les prisons par le soupçon et les videra
par le massacre, mettra l’Europe en feu et la civilisation en cendre, fera de la France la patrie
des ténèbres, égorgera la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu ; remettra en mouvement ces deux, machines fatales qui ne vont pas l’une sans l’autre, la planche aux assignats et la bascule de la guillotine ; en un mot, fera froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, après l’horrible dans le grand que nos pères ont vu,
nous montrera le monstrueux dans le petit.

L’autre sera la sainte communion de tous les français dès à présent, et de tous les peuples un jour, dans le principe démocratique ; fondera une liberté sans usurpations et sans violences, une égalité qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternité, non de moines dans un couvent, mais d’hommes libres ; donnera à tous l’enseignement comme le soleil donne la lumière, gratuitement ; introduira la clémence dans la loi pénale et la conciliation dans la loi civile ; multipliera les chemins de fer, reboisera une partie du territoire, en défrichera une autre, décuplera la valeur du sol ; partira de ce principe qu’il faut que tout homme commence par le travail et finisse par la propriété, assurera en conséquence la propriété comme la représentation du travail accompli, et le travail comme l’élément de la propriété future ; respectera l’héritage, qui n’est autre chose que la main du père tendue aux enfants à travers le mur du tombeau ; combinera pacifiquement, pour résoudre le glorieux problème du bien-être universel, les accroissements continus de l’industrie, de la science, de l’art et de la pensée ; poursuivra, sans quitter terre pourtant et sans sortir du possible et du vrai, la réalisation sereine de tous les grands rêves des sages ; bâtira le pouvoir sur la même base
que la liberté, c’est-à-dire sur le droit ; subordonnera la force à l’intelligence ; dissoudra l’émeute
et la guerre, ces deux formes de la barbarie ; fera de l’ordre la loi des citoyens, et de la paix
la loi des nations ; vivra et rayonnera ; grandira la France, conquerra le monde ; sera, en un mot,
le majestueux embrassement du genre humain sous le regard de Dieu satisfait.

De ces deux républiques, celle-ci s’appelle la civilisation, celle-là s’appelle la terreur.
Je suis prêt à dévouer ma vie pour établir l’une et empêcher l’autre .
http://fr.wikisource.org/wiki/Réunions_électorales_-1848-1849


Victor Hugo (1802-1885), la traversée du siècle - Michel Winock, L'Histoire 261, 2002
http://www.lhistoire.fr/1802-1885-la-traversée-du-siècle

Victor Hugo a d'abord été royaliste, ami des Bourbons, puis pair sous la Monarchie de Juillet.
Rejeté par le suffrage universel le 23 avril 1848, Victor Hugo est élu député le 4 juin lors d'élections complémentaires. La république, soit ! mais une république raisonnable...
Lors de son premier discours à la Chambre, le 20 juin 1848, il plaide contre les ateliers nationaux, qui préparent, selon lui, la guerre servile...
En décembre 1848, il soutient la candidature de Louis Bonaparte.

Le 13 mai 1849, il est élu député de l’Assemblée législative sous la bannière du parti conservateur. 
En juillet 1849, il affirme « détruire la misère, oui, cela est possible. »
En 1850, il combat le parti clérical et la loi Falloux (en faveur de l'école confessionnelle). Il fait l’apologie d’un suffrage universel sans limites alors que les conservateurs limitent le suffrage universel en  exigeant des électeurs trois ans de résidence dans le même canton. 

Après le coup d'état du 2 décembre 1851, il appelle en vain à la résistance. Il est contraint à l'exil, en Belgique d'abord puis à Jersey et à Guernesey. Il écrit le pamphlet Napoléon le Petit.
Après la débâcle de Napoléon III à Sedan, Victor Hugo est accueilli triomphalement à Paris le 5 septembre 1870.