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Olga Wormser-Migot (1912-2002) 


A paraître dans Historiens & Géographes :

Olga Wormser-Migot (1912-2002) fut une historienne pionnière dans l’étude du système concentrationnaire. En 1940, elle est révoquée par Vichy. En 1945, pour le Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, elle part en mission à Bergen-Belsen (mai 1945) puis en Pologne (mai 1946) à la recherche des déportés et des sources de leur histoire (Quand les Alliés ouvrirent les portes, 1965). En 1954, aux côtés d’Henri Michel, elle participe à la publication de Tragédie de la déportation, une anthologie de témoignages et à l’organisation de l’exposition « Résistance, Libération, Déportation » au Musée pédagogique de la rue d’Ulm. L’année suivante, elle accompagne la réalisation du film Nuit et Brouillard, le chef d’œuvre d’Alain Resnais. 
En novembre 1968, elle soutient sa thèse sur « Le système concentrationnaire nazi (1933-1945) ». Deux épisodes déclenchent des polémiques qui éclipsent son travail d’historienne : en 1969, « une affirmation erronée, celle de l'inexistence de chambres à gaz dans les camps de l'Ouest, lui vaut l'ire de certains déportés » ; après 1977, elle doit se débattre avec un piège tendu par les négationnistes (correspondance, article publié par Le Monde).
« Cette femme de bonne volonté, toujours meurtrie au soir de sa vie, se console en évoquant sa « tribu » et en écrivant : A la fin des fins, j’ai tout de même réussi quelque chose ».

« Olga Wormser-Migot, le chaînon manquant », « Le tombeau d’Olga », deux chapitres la concernant introduisent et ferment Nuit et Brouillard, Un film dans l’histoire. Sylvie Lindeperg s’en explique dans l’introduction : « parce que le fil d’Olga m’a permis de voir autrement Nuit et Brouillard, j’ai monté le livre au cœur de son portrait, sous le signe d’un emboîtement des regards ».
« C’est en étudiant au plus près la trajectoire personnelle et professionnelle d’Olga Wormser, ses premières confrontations avec la déportation, ses découvertes et ses hypothèses sur le système concentrationnaire, ses interrogations sur son articulation avec la «Solution finale », que j’ai commencé à comprendre. Si le savoir et les lectures d’Olga avaient nourri Nuit et Brouillard, ses tâtonnements, ses contradictions et ses dissonances étaient elles aussi passées dans le film ». 
« Mon raisonnement de départ [« une approche en surplomb »] était fautif : le point de vue et la perspective devaient en être inversés. En effet, lorsque l’historien vient au cinéma pour servir de conseiller, il le fait généralement du haut d’une œuvre déjà écrite, solidement constituée, qu’il met au service de la mise en scène et de la construction du récit filmique. Dans le cas de Nuit et Brouillard, outre que le duo d’historiens vint avant le cinéaste auquel il passa commande, le film n’était pas le fruit tardif d’une œuvre accomplie: il constituait à la fois le brouillon et la première synthèse d une histoire en devenir. Olga Wormser l’écrivit pas à pas, pendant quatorze ans, jusqu’à la publication de sa thèse ».
« Au sortir de la salle de montage, Alain Resnais avait laissé son œuvre vivre sa vie signalant qu’elle le dépassait de beaucoup; Henri Michel s’en était voulu le géniteur, il avait aimé et renié le film ingrat qui s’était déplacé trop vite vers les rivages de l’art; cette transformation du document en œuvre avait au contraire émerveillé Olga Wormser. En mère légèrement abusive, elle n’avait plus lâché Nuit et Brouillard jusqu’à le coucher dans sa propre écriture, prolonger le dialogue avec lui, donner vie sur le tard à ses images dormantes, clarifier les distinctions qu’il n’avait pas établies pour en faire la matrice de sa propre compréhension ».

Sylvie Lindeperg, Nuit et Brouillard, Un film dans l’histoire. Odile Jacob 2007
Nuit et Brouillard - dossier sur Clioweb
 

Annexes :
In Memoriam : Olga Wormser-Migot
Archives Juives, Volume 36 2003/1
Morte très âgée le 3 août 2002, Olga Wormser-Migot avait été une des toutes premières à tenter l’histoire de la déportation. Travaillant avec Henri Michel au Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale, elle avait été à ses côtés la conseillère historique du film de 1956 Nuit et Brouillard d’Alain Resnais. Elle avait par ailleurs assuré un chapitre pionnier d’une trentaine de pages concernant la période de 1939 à 1945, bien évidemment centré sur la persécution des Juifs, dans le volume collectif Histoire des Juifs en France publié en 1972 par la Commission française des archives juives, sous la direction de Bernhard Blumenkranz. Sa contribution au développement de la recherche sur le système concentrationnaire reste fondamentale. - Cairn 
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=AJ_361_0152



Olga Wormser-Migot 
Une historienne de la déportation 
Annette Wieviorka Le Monde  8 août 2002

Mort d'Olga Wormser-Migot, historienne de la déportation
Olga Wormser-Migot est morte samedi 3 août, après une "retraite" de près de trois décennies. Le dynamisme actuel de la recherche sur le système concentrationnaire nazi comme sur le génocide des juifs a rejeté injustement dans l'ombre ceux qui en furent les pionniers et dont les apports restent aujourd'hui essentiels.

Elle est née Olga Jungelson, le 5 juillet 1912 à Nancy, de parents russes, militants mencheviks exilés avant d'adopter définitivement la France. Son oeuvre est le fruit d'une rencontre entre une formation d'historienne et les circonstances de la fin de la guerre. Fin août 1944 -- en attendant une rentrée des classes qui devait lui permettre d'enseigner de nouveau l'histoire --, Olga Wormser-Migot entre au service de l'état civil du ministère des prisonniers, déportés et réfugiés avec pour tâche la localisation et la recherche des déportés. Ces "neuf mois mortels" qui séparèrent la libération de la capitale du retour de trop rares déportés, Olga Wormser-Migot en fit le récit précis et sensible dans un ouvrage dont le titre fut emprunté au texte que Jean Cayrol composa pour le film d'Alain Resnais Nuit et Brouillard : Quand les alliés ouvrirent les portes (Laffont 1965 ; réédition Complexe 1985 sous le titre Le Retour des déportés).

Pour Nuit et Brouillard, en effet, Olga Wormser-Migot avait été, avec Henri Michel, dans le cadre du Comité d'histoire de la deuxième guerre mondiale, la conseillère historique, mettant dans le désir de faire ce film "tout son enthousiasme et son lyrisme"(Alain Resnais), tout son savoir sur les déportés et sur les camps, acquis notamment dans la confection, avec Henri Michel, de l'anthologie Tragédie de la déportation, 1940-1945. Témoignages de survivants des camps de concentration allemands (Hachette, 1954). C'est elle qui écuma les divers dépôts d'archives dans toute l'Europe, acquérant ainsi une connaissance intime de cette documentation qui fut d'une grande utilité dans la rédaction de sa thèse complémentaire "Essai sur les sources de l'histoire concentrationnaire nazie 1933-1945".

L'immersion dans les archives pour Nuit et Brouillard, les multiples débats lors des projections, l'amenèrent à abandonner définitivement le XVIIIe siècle et Les Femmes dans l'histoire, auxquelles elle avait consacré un premier ouvrage paru en 1952 et qu'avaient suivi les biographies de Catherine II (1955) et de Marie-Thérèse (1960). Olga Wormser-Migot mena alors à bien "avec un exceptionnel courage" (P. Sorlin) la rédaction d'une thèse d'Etat, Le Système concentrationnaire nazi. 1933-1945 (PUF, 1968), qui reste encore un ouvrage de référence. Elle espérait que cette thèse lui ouvrirait les portes de l'université. Une affirmation erronée, celle de l'inexistence de chambres à gaz dans les camps de l'Ouest, lui valut l'ire de certains déportés.

Au-delà de l'erreur - "La véritable histoire du phénomène concentrationnaire reste encore à faire", écrivait dans une correspondance publiée par Le Monde Serge Choumoff, assassinant définitivement l'ouvrage dans sa totalité, ce dont Olga Wormser-Migot ne se remit jamais. Pourtant, au-delà de l'erreur (des chambres à gaz fonctionnèrent dans certains camps de l'Ouest, à Ravensbrück et à Mauthausen, mais pas dans d'autres camps comme Buchenwald ou Dachau), Olga Wormser-Migot avait vu juste - ce que les travaux d'Hilberg, entre autres, ont bien montré. Les centres, tous situés à l'Est, destinés à la mise à mort de masse des juifs au moyen de gaz diffèrent des camps de concentration, établis dès 1933 par le nazisme, qui accueillirent des catégories diverses de détenus - opposants politiques, résistants, témoins de Jéhovah, droits communs... - et dont la fonction n'était pas l'élimination systématique. 
Annette Wieviorka Le Monde , 8 août 2002.7
http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=768198


Olga Wormser rejoint la nuit
L'historienne de la déportation s'est éteinte à 90 ans.
Antoine de Baecque Libération 09/08/2002

Alain Resnais conserve un souvenir ému d'Olga Wormser-Migot, rencontrée lors de la préparation 
de Nuit et brouillard, en 1954, film dont elle fut la conseillère historique : "Elle connaissait les archives à la perfection, et apporta à la recherche de documents pour le film toute son énergie. C'était une femme enthousiaste qui allait au fond des choses, malgré la douleur de ces images et de ces témoignages." Olga Wormser-Migot, historienne de la déportation, est morte samedi 3 août alors qu'elle venait d'avoir 90 ans. Si, aux côtés de Henri Michel, elle fut la conscience historique d'Alain Resnais, c'est que son film, qui rappela au monde l'horreur du système concentrationnaire nazi, fut commandité par le comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, dont elle était un des piliers après avoir entrepris ses recherches sur le sujet dès la fin de l'année 1944.

Née Olga Jungelson à Nancy, le 5 juillet 1912, de parents russes, mencheviks exilés, elle commence des études d'histoire et enseigne. Fin août 1944, elle entre au service de l'état civil du ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés avec pour tâche la localisation et la recherche des déportés. Olga Wormser collecte informations, témoignages, archives, alors que la guerre n'est toujours pas achevée et que la plupart des déportés survivants ne sont pas encore retournés dans leur pays. Elle tirera de ce travail deux livres, une anthologie de témoignages sur les camps, Tragédie de la déportation, 1940-1945. Témoignages de survivants des camps de concentration allemands (Hachette, 1954), et un récit du retour des déportés, Nuit et brouillard. Quand les alliés ouvrirent les portes (Laffont, 1965). Dès qu'elle le peut, l'historienne fait le tour des dépôts d'archives en Europe, collectant la documentation pour écrire sa thèse complémentaire, Essai sur les sources de l'histoire concentrationnaire nazie (1933-1945), puis sa thèse d'Etat, 
Le Système concentrationnaire nazi (1933-1945), publiée aux PUF en 1968.

Cet investissement constant, qu'accompagnent les débats autour des projections de Nuit et brouillard, la conduit à abandonner son autre sujet de prédilection, l'histoire des femmes au XVIIIe siècle, dont elle fut une des pionnières.

Mais la thèse d'Olga Wormser n'a pas l'accueil escompté. En affirmant, dans un développement sur "le problème des chambres à gaz" (Le Système concentrationnaire, pp. 541-544), que celles-ci n'avaient pas existé "dans les camps de l'Ouest", à Ravensbrück et Mauthausen, elle déclenche la colère de certains déportés, comme Germaine Tillion. Les premiers négationnistes, Paul Rassinier par exemple, tentent même d'utiliser ses travaux, mais l'historienne les combat avec une extrême virulence. Olga Wormser-Migot a commis une erreur : des chambres à gaz fonctionnèrent à Ravensbrück et à Mauthausen. Cette vive polémique éclipse le travail de l'historienne, dont la plupart des conclusions et des descriptions du "système concentrationnaire" nazi seront reprises et approfondies, par exemple par les ouvrages de Raul Hilberg. En ce sens, l'importance, depuis une vingtaine d'années, des recherches sur le génocide des juifs est largement redevable à l'énergie d'Olga Wormser-Migot.
http://www.liberation.fr/culture/0101421642-olga-wormser-rejoint-la-nuit

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